dimanche 18 janvier 2009




On les croise les fourgons blancs et les caravanes. Tous les jours on les croise et désormais, je les vois.

Il y a trois ans, avant de pénétrer dans le monde des Voyageurs, Gitans, Manouches, Roms… Appelez les comme vous voudrez, je les croisais sans les voir et je ne les remarquais que lorsqu’ils se rassemblaient, en masse avec leurs oripeaux de linge aux clôtures et rambardes de sécurité.

Ils étaient là. Je ne les connaissais pas. Ils ne me dérangeaient pas, ne m’attiraient pas, ne me fascinaient pas ni même me charmaient.
Juste l’accroche d’un regard : « Tiens… Ils sont là… »
Rien de plus, rien de moins. Ni tout à fait de l’indifférence, ni tout à fait de l’intérêt.
Juste un constat neutre, plat.

Aujourd’hui j’ai les yeux qui traînent, je cherche les têtes connues au croisement d’un fourgon, j’attends un coup de claxon, une main levée , les sourires du tas de gamins entassés à l’avant.
J’attends, je cherche leurs yeux et leur « re-connaissance » parce que je suis une « Paï* », une « Gadji* » de « vers eux » une qui est venue un jour à leur rencontre comme elle serait allée à la rencontre de n’importe qui d’autre parce qu’il fallait bien qu’elle travaille quelque part et pourquoi pas avec eux.
Ca s’est passé comme ça, sans poésie, sans autre désir que celui de travailler . La poésie est venue après.

Je suis arrivée au début d’un été et le directeur m’a dit : « il y a tout à faire » .
Ce « tout » ne me disait pas grand chose mais j’ai su qu’il fallait y aller.

L’aire d’accueil pour gens du voyage de ma petite ville est ce que l’on appelle une « zone de non droit »; désertée des services sociaux, de PMI , de police.
« Un endroit peu fréquentable » m’avait on dit et mon travail devait consister à « recréer du lien et réintroduire le droit commun », être, c’est très à la mode, un médiateur social.

J’y ai cru et j’y suis allée, pleine de mes cinq années à pouponner à la maison, pleine de ma neutralité, pleine d’un gros vide qui ne demandait qu’à se remplir de tout.
J’aurais bien quelque chose à faire dans ce : « Il y a tout à faire »

Je ne sais pas si j’ai "tout" fait depuis trois ans, mais je me sens aujourd’hui « pleine de Gitan », dégoulinante et bonne à essorer.
Trois ans à tremper, à baigner, sans avoir jamais vraiment cherché mon imperméabilité.
Il faut que j’essore...
Bien loin d’être une experte es gitans, je ne peux rapporter que ce qui m’arrive avec eux, ce qui leur arrive avec moi, ce qu’une poignée d’entre eux a bien voulu me laisser voir de l’intérieur.

Ce qu’ils m’ont laissé voir, c’est une photo.

* Paysanne, non gitane.
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LA PHOTO



Je suis avec un jeune couple et un de leurs enfants dans une Caravane.
Alors que je remplis des papiers pour eux, Johnny, le père sort un tas de photos d’un placard. Une fois ma tâche terminée, il me propose de partager avec lui ses souvenirs de voyage de l’été dernier.
Euro-Disney ! Toute la petite famille aux côtés de Blanche Neige, Mikey, la Belle et la Bête et compagnie.
Rien que de très banal , une journée consommatrice de Monsieur et Madame tout le monde.
Non, justement. Pas tout à fait…

Elle est là, la photo qui résume ce qui les sépare de nous depuis toujours et sans doute à jamais.

Les enfants, cinq ou six, sur le lit de la Belle au bois dormant ; Papa derrière l’objectif.
Et alors ?
Et alors au premier plan sur la photo, la chaîne et le panneau interdisant aux visiteurs d’entrer dans le décor.
D’un côté le père, de l’autre, les enfants, tout sourire, affalés sur le lit de la princesse.

Entre les deux, les limites, nos limites, la chaîne, le panneau, nos valeurs… qui n’en n’ont aucune à leurs yeux.
C’est C'est là, sur cette photo, que toutes nos différences et nos incompréhensions me sautent aux yeux.

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RAPIETTE

Ce que j’ai appris de « Rapiette », c’est qu’un jour, j’ai gagné sans m’en rendre compte.
Du haut de ses trois ans, c’est elle qui m’a intronisée « assistante sociale des gitans ».

Lors de mon arrivée sur l’aire d’accueil, j’ai dû apprendre à me laisser approcher, observer, interroger de regards tous aussi surpris que suspicieux.

J’étais seule.
Seule à avoir une toute petite idée de ce que je pouvais bien venir faire ici.
Seule au milieu d’une soixantaine de personnes que j’intéressais juste assez pour qu’elles me tolèrent sur leur lieu de vie.
Dès le premier jour, j’avais senti une accroche avec les enfants et c’est avec eux, en m’improvisant piètre animatrice que tout a commencé.
Une boîte de crayons, quelques albums de coloriages et je faisais le bonheur de vingt bambins.
Les feutres épuisés, les albums déchirés, je décide un jour d’apporter une piscine gonflable sur le terrain.

L’été est brûlant et je suis accueillie comme la saison des pluies.

Quelques hommes tournent autour de moi sans un mots, quelques mères ricanent un peu, tous les enfants se précipitent sur le gonfleur…

Je sens bien que j’ai l’air un peu ridicule mais je me dis qu’il faut bien commencer avec peu…Apprivoiser les enfants pour atteindre les parents. Pourquoi pas ?

Je ne sais rien d’eux alors j’essaie tout.

Mon essai n’est pas à la hauteur de mes espérances. Les parents gardent leurs distances pendant que les petits pataugent… Je désespère un peu et m’assieds quelques instants à l’écart pour ne pas finir trempée.

Un petit bout de fillette nu s’avance et me contemple de ses yeux verts pailletés d’or.
Elle s’accroupit face à moi, plonge sa main dans le paquet de pop corn qu’elle tient, porte la friandise à sa bouche, croque et me tend l’autre moitié, minuscule. Sans réfléchir, j’ouvre la bouche et la remercie…

Deux femmes qui nous observaient de loin s’avancent alors vers nous et me disent :
« Tu ne crains pas de manger derrière nous ? »
Je ne comprends pas tout de suite leur question et elles ne me laissent de toute façon guère le temps d’y réfléchir.
Les demandes fusent : Puis je remplir quelques papiers, téléphoner à la caisse, avoir un prêt pour une machine à laver…

Un peu plus tard, la piscine remballée et alors que je m’apprête à quitter les lieux, un vieil homme, peau brune et barbe blanche, m’invite à prendre une chaise à l’ombre et me propose un rafraîchissement.

Je sens alors un monde qui s’ouvre à moi.
Il me parle de lui et des autres.
Il est né pendant la guerre sous le tilleul de la place d’un village voisin, ses parents se cachaient dans le maquis, il a eu dix enfants et part tous les ans aux Saintes Maries…
J’y suis…
J’y suis et j’ai envie d’y rester.
J’ai gagné et la piscine n’y est pour rien.

Merci Rapiette pour ton geste ami…
Non. Je ne crains pas de manger « derrière toi ».
Je ne crains de toi que ta fuite, ton rejet, ton incompréhension.

Tu as vu… je ne suis pas bien sauvage.
Un geste de toi aura suffit pour que tous les regards des tiens me caressent enfin…
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MOINS...
Je me dis souvent que moi, la "paysanne", quoique je puisse vivre avec eux, je passerai toujours après leur pire ennemi gitan.

Je l’ai accepté et je travaille avec.
Je me sais utilisée mais ce que j’y gagne, je pense qu’ils l’ignorent encore.

J’y gagne le droit de pouvoir témoigner aujourd’hui de ces moments de vies que je leur vole.

La voleuse, c’est moi…Oui.
Je vole le droit d’être acceptée sur leurs terrains, dans leurs caravanes.
Je vole au matin, ces images de petites nichées d’enfants couchés, pouces et biberons à la bouche, bien collés les uns aux autres sur des couvertures jetées au sol de la caravane.
Un tas de petits gosses, cinq ou six, yeux collés et cheveux ébouriffés dans la canicule hivernale de la « camping »(c’est fou ce que les caravanes sont surchauffées..)

Dehors, le froid, la boue.
Je laisse mes chaussures à la boue et j’enjambe les marmots jusqu’à la banquette.
Je pose mon dossier et mon agenda sur mes genoux et la mère s’affole :

« Ils sont tous malades ! alors j’ai pas encore pu faire ma caravane… »

Je dis que ce n’est pas grave, que moi même je suis partie en laissant ma vaisselle de la veille.
Elle se détend.
Je trempe mes lèvres dans le café brûlant et archi-trop-sucré et j’écoute, j’écris, je fais ce que je peux.

Alors le père se lève :

« Toujours fraîche, la Fanchon !»
Ben oui, toujours… On essaie…
La mère lui sert le café. Il grogne qu’il n’a plus de cigarettes et sort.
Alors sa femme me dit : « Tu sais comment il est… »Non, mais je réponds que oui et la télé s’allume sous de tout petits doigts.

« Et pour l’école… Il faut un certificat… Parce que sinon, mes allocations… »
Je prends mon portable. J’appelle le médecin. Il passera dans la matinée…

Je t’ai volé ton petit réveil familial.
Je t’ai volé alors que je vaux moins que tous tes riens, un petit bout de ta vie, le générique des razmokets, une nichée d’enfants, trois gorgées de café…

« HEP !!! Moi j’en ai des cigarettes ! Vous en voulez une ? »

Il est là notre deal. Je vole parce que je donne ; une clope, un coup de fil, quelques lettres, du temps…
Je prends ce que tu me donnes, je me régale dans ton poulailler, t
u le sais bien dans le fond. Tope là! Et tant pis si je dois me passer de ton coeur...
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DONNANT-DONNANT


Sortie au ciné avec les 08- 10 ans.
Jour de fête.
Dans le Trafic de service qui contient neuf places Momo(mon collègue) et moi tentons d’installer les enfants et de faire comprendre aux vingt autres qui nous harcèlent que nous ne pouvons pas les emmener et qu’ils viendrons la prochaine fois.

Mais «la prochaine fois » ne veut rien dire pour eux.

Dans cette culture de l’instant, l’idée d’un « après » ou « d’un plus tard » est difficilement concevable.

Alors, Dylan, cinq ans, s’approche de moi et sort de sa poche une jolie perle chinoise bleue.
Il me tend son trésor en me disant : « Tiens ! C’est pour tes enfants.. »

Touchée, je le remercie et lui colle un bisou sur la joue.
« Ils vont être très contents ».

Alors que je tourne les talons pour monter dans le camion, il me lance : « Tu m’amènes avec vous maintenant ? »
Je comprends soudain le marché.
Je bredouille que non, qu’on est complet, mais que la prochaine fois….
Je n’ai pas fini ma phrase qu’il se met à hurler, taper du pied et se mordre le poing.

Le regard de sa mère me coupe en mille morceaux.

Je me dis alors que je suis bien naïve et que j’ai encore beaucoup à apprendre.
Je pars gênée, honteuse de ne pas avoir saisie plus tôt la négociation.

Aujourd’hui, j’en ai plein , de la monnaie d’échange.
Plein mes tiroirs, plein mon bureau.

Des vases de la déchetterie, des médailles, des porte-clés, des petit bijoux en toc.

Je les prends comme des cadeaux de remerciements et bien souvent c’est ce qu’ils sont.
Je dis toujours que ce n’est pas la peine, que je suis payée pour le travail que je fais avec eux, que ça me gêne mais si j’en fais trop, ils se vexent.

Alors je prends en précisant à chaque fois que c’est la dernière fois…

Mais depuis quelques temps, ils ne me font plus de cadeaux.
Tout est pour mes enfants qui, bien entendu, eux, ne sont pas payés pour le travail que je fais !

Je prends quand même parce que je mesure bien ce qu’ils mettent dans ce geste. Je sais qu’ils cherchent à me toucher au delà de mon rôle professionnel.

C’est plus fort qu’eux.
Ils faut toujours qu’ils vous cherchent ailleurs…
Tout au fond de vos yeux, de votre cœur, de vos tripes.
Ils viennent chercher la femme, la mère, la sœur… Tout ce que vous êtes ,dans le fond et que l’on vous a appris à ranger dans des tiroirs fermés à double tours à l’école d’assistante sociale.
Mais avec eux, vous apprenez que les serrures ne tiennent jamais bien longtemps.

Alors ils vous happent.
Ils vous aiment ou vous détestent.
Rien, rien jamais n’est dans la demie mesure.
Ils donnent .
Il donnent le bon et le mauvais. Du bijou au coup de gueule.
L’amour, la haine…Dans l’humeur de l’instant.
Je donne le bon, je reçois du bon.
Je donne de la frustration, Je reçois de la haine.
Heureusement, avec eux, rien n’est figé.
Il arrive qu’on me déteste un jour et qu’on m’aime le lendemain.
Pourtant je ne travaille avec eux ni pour l’un, ni pour l’autre et je me dis que l’important, finalement, c’est de savoir recevoir les deux.
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LE SAC A MAIN DE NATHALIE
Trois ans… Trois ans que j’apporte régulièrement à Nathalie des chemises cartonnées et des classeurs plastifiés pour qu’elle y protège ses papiers.

Trois ans qu’à chaque fois que j’ai besoin d’un document, elle farfouille dans son sac à main pour me sortir un chiffon de papier mâchouillé par le petit dernier.
Je ne parle même pas de la carte vitale perdue des dizaines de fois…

J’ai bien compris.
Quelle valeur peut avoir le papier quand on ne sait ni lire ni écrire ?
Aucune. Alors on enfourne tout ça dans le sac, parmi quelques photos de baptême mordillées par le petit dernier d’avant.

Ca m’énerve quand elle me vide son sac et qu’elle me dit : « Vas-y . Cherche toi ! »
Je reparle alors des classeurs plastifiés mais c’est la grande qui, de colère, les a déchirés un jour de dispute.

On cherche les petits bonshommes bleus de la caisse d’allocations familiales, le papier vert de la sécu, les cartons oranges pour l’école, les papiers roses des impayés hospitaliers…

C’est comme ça qu’il m’ont appris à parler ; en couleur ; parce qu’en écriture, je n’étais pas comprise.

Pour les médicaments, c’est la même chose : « Je lui ai donné un rouge et blanc pour la fièvre, du sirop rose ou des sachets verts… »

Finalement, je me dis que ce n’est pas si bête de parler en couleur même si l’on reste souvent dans un à peu près un peu périlleux du moins en ce qui concerne la médication…

Cela reste un moyen comme un autre de se repérer pour eux. Pour moi aussi maintenant.

Elle sait bien qu’il faut garder ses papiers Nathalie et elle les garde tous .Ca oui !

Quand le sac est vidé, j’entame alors mes recherches et le tri.
Je mes les pubs d’un côté pour le feu, les documents administratifs de l’autre classés par couleur.
Un petit tas pour chaque, puis, j’assemble le tout et c’est un arc en ciel que Nathalie range dans son sac.

C’est moins lourd les arcs en ciel, que les chemises cartonnées et les classeurs plastifiés.
Et puis aussi…C’est plus joli…
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LA MAUVAISE MERE

Je les vois bien les yeux écarquillés et les regards légèrement réprobateurs quand je dis que mes enfants sont à l’école maternelle et qu’après la classe, c’est une nounou qui les récupère.

« Les pauvres ! » me dit on en traînant bien long, bien triste sur ces mots, au cas où je ne me sentirais pas assez coupable d’abandonner mes enfants, si petits, à des inconnus.

La mauvaise mère, je le sens bien, c’est moi.

Je comprends alors pourquoi les mamans gardent leurs enfants auprès d’elles jusqu’à l’entrée au CP ( âge où la scolarité devient obligatoire ).

Quel intérêt pour elles de faire souffrir leurs petits si elle n’y sont pas obligées avant qu’ils aient atteint leur septième année ?

Je leur explique pourtant, qu’une année en grande section de maternelle permet d’intégrer le CP beaucoup plus sereinement mais les quelques mamans qui tentent l’expérience déscolarisent le bambin aux premières larmes qu’il verse dans la coure de récréation.

« j’ai essayé de le mettre à l’école mais il pleure ! »

Chez les gitans, on ne laisse pas pleurer un enfant.
On ne le frustre pas parce qu’il est Roi.
Roi soleil. Roi des Rois. Tout puissant.

C’est ainsi que je vois, chaque jour, des petits bouts de rien du tout piquer des colères noires pour que l’on cède à leurs désirs.

Pire encore, c’est ainsi qu’on me demande, à moi, « la mauvaise mère » de fâcher, de frustrer.


Je suis avec Nina dans un magasin. Nous faisons des achats pour un pic-nique lors d’une sortie.

Cécilia, Trois ans, s’attarde sur le cent unième dalmatien en peluche du rayon jouets.

Alors qu’elle s’en saisit, sa mère me regarde d’un air implorant.
Je comprends alors qu’elle n’a pas de quoi payer et la bestiole n’étant pas prévue au menu du repas de midi, je suggère à Nina de dire à sa fille que ce n’est pas possible d’adopter le petit chien.

Cécilia hurle. La mère se décompose et cède jusqu’à la caisse où, discrètement (mais pas trop quand même), elle me tend le jouet en me disant :

« Va le remettre toi ! moi, je peux pas mais si c’est toi, c’est pas grave… »

Ben voyons !
Je prends la bête. Ai-je le choix ?

J’explique tout de même à Cécilia qu’aujourd’hui, ce n’est pas possible de l’acheter et bien entendu, elle remet la sirène en route.

Après tout, je ne suis qu’une « paysanne », Je peux bien frustrer un peu..
J’accepte mon rôle de « castratrice » et de « mauvaise mère » au nom de mes valeurs de gadji.

La méchante, c’est moi.

A la sortie du magasin, je demande à Nina comment elle aurait fait si je n’avais pas été là.
Elle me répond dans un éclat de rire :

« Je l’aurais chouravé ! »

OUF ! Je me dis que finalement je suis une sainte et quand deux minutes plus tard Cécilia, renverse délibérément sa bouteille de soda dans la voiture en me regardant dans les yeux, je n’ai aucun scrupule à lui tendre le papier absorbant en la sommant d’éponger.

Quitte à être la méchante, autant l’être jusqu’au bout.

Pour toi Nina, être une bonne mère, c’est satisfaire au désir immédiat de ton petit.

Pour moi, c’est lui apprendre que l’on ne peut pas tout avoir, quitte à ce qu’il pleure un peu.

Tu refuses d’être la cause des larmes de ton enfant et tu restes souveraine en m’en désignant responsable.

Après tout, elle n’a pas fini ta petite Cécilia de se frotter à la loi des « méchants gadjé ».
Sans doute est ce aussi bien qu’elle commence en douceur… Avec moi, qui comprend un peu.
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PERLE

Quelques mots pour Perle.
Des mots qu’elle ne lira sans doute jamais car comme une grande majorité des gens du voyage que je peux rencontrer, elle ne sais pas lire.
Perle, la mère, dite «la fouine ».

Elle ne voyage plus.
Coincée par les parloirs de ses fils, elle bâti ses semaines sur les jours de visites.
L’un entre, l’autre sort, l’autre encore en a pris pour un bail…

« Mais ce sont de bons petits » dit elle. Bien sûr, puisque ce sont les siens.

Derrière toute sa pudeur, j’ai bien souvent vu sa souffrance.

Je la revois le jour où l’un des garçons en a pris pour au moins trois ans.

Elle lavait les vitres de sa caravane et en essorant le lange blanc sur le seau d’eau de javel elle m’a regardé en me disant :
« C’est dur, tu sais… »

( Elle me dit « tu », Perle, sauf quand elle me demande quelque chose ; une clope, des sous, un colis alimentaire…)

J’ai dit : « Oui. C’est dur… »

Elle a jeté le lange dans la mousse du seau.
Shplouch !
Elle a jeté sa misère bien essorée avec.

Quand elle ne va pas, Perle, elle lave et elle essore.
C’est comme ça qu’elle tient.

Elle a eu sept enfants, trois filles et quatre garçons.
Cet hiver, trois des garçons étaient incarcérés en même temps.
Jamais le temps, Perle . ‘Fallait courir de maison d’arrêt en centre de détention.
Les chaussettes de l’un, les tee-shirts des autres…

« Dites… Vous pourriez pas m’avoir un manteau pour mon Ismaël ? Il se gèle dans cette prison. Y « chauffons » rien du tout dans ce machin ! »

‘Faut pas qu’ils aient froid ses petits, dans nos microbes de gadjé.

Quand elle va au parloir, le père l’attend dans le fourgon.
« Vous comprenez, moi, J’peux plus rentrer là d’dans.. La prison c’est pas bon. Ca me rappelle trop de souvenirs… »

Il en dit long, le père, sur l’histoire d’amour de Perle avec les parloirs…

Elle a dû en essorer des langes et des larmes dans l’eau de javel. Depuis bien longtemps.

Hier, j’en ai vu couler des larmes … Des grosses larmes sur sa peau tannée.
Des grosses larmes de mère déchirée, écorchée, sacrifiée.

Deux de ses petits sont morts dans un accident de voiture. Ecrabouillés…

Assise sous une tente où les femmes de la famille pleuraient, j’ai pris sa main dans la mienne, et tandis que de l’autre elle essorait son mouchoir trempé, elle m’a dit :

« C’est dur, tu sais… »

J’ai dit : « Oui. C’est dur… »

Parce qu’il va falloir qu’elle courre encore, Perle, entre les parloirs et le cimetière .
Il va falloir qu’elle en essore encore des larmes et de la misère.

Courre Perle ! Courre et lave !

Il faut bien soutenir son malheur.

Il faut bien porter ses horreurs.
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LES COURSES
Le samedi, je ne suis pas censée travailler.
Non…
Et pourtant…


Je pousse mon chariot dans les allées du supermarché, quand, à l’angle du rayon charcuterie j’entends mon nom crié depuis l’autre bout de l’allée centrale.

« aie ! » c’est bien pour moi.

Rosita, son mari et leurs cinq enfants arrivent au pas de course.
Je salue toute la petite famille sous les regards agacés des autres gens.

« Ca tombe bien, je voulais te voir, justement. » me confie la mère.
« C’est pour le notaire, pour le terrain qu’on veut revendre, tu peux pas l’appeler, maintenant ?»

J’explique que je suis en congé, que là, je suis en train de faire mes courses et que je passerai les voir le lundi suivant.
Manifestement, je dois parler hébreu car Rosita me répond que si je ne travaille pas, j’ai justement tout mon temps pour m’occuper de son affaire.

J’insiste.
Elle aussi.
Elle fini par céder quand je lui dis que mes enfants m’attendent et que je suis déjà en retard.

« A lundi. Bon week-end. »

Elle a cédé par respect pour la mère de famille mais n’a rien eu à faire du repos de l’assistante sociale.
Elle n’a vu que son besoin et ma fonction.

Je comprends alors tout le flou dans lequel j’interviens professionnellement.
Je comprends aussi les écarts de nos conceptions du travail.

Le salariat, les 35 heures, le repos hebdomadaire…sont à vingt mille lieux de l’idée que se font les gens du voyage du travail.
Chez eux, on travaille pour le besoin à satisfaire dans le court terme, une bricole par ci, un peu de chine par là pour payer le repas du soir. On ne compte pas ses heures, ses récups, ses congés, on reste toujours prêt à rapporter de quoi survivre jusqu’au lendemain. Week-end compris.

Alors, je n’en veux pas trop à Rosita quand elle me tape sur l’épaule à la caisse pour me demander cette fois ci, si je peux lui faire une lettre pour qu’elle aille chercher des vêtements au secours populaire.
« c’est fermé le samedi et le dimanche aussi… »

Un peu méfiante, un peu déçue, elle me demande :
« Et le lundi ? »
C’est ouvert et je passerai la voir…
« Le lundi qui vient , là ? »
Oui, après demain…
« Ca fait deux jours ça ? »
Oui.
« Pas demain…Le jours d’après…C’est ça ? »
C’est bien ça…
« Bon… » et elle s’en va.

En vidant mes courses sur le tapis de la caisse, je me dis que nous ne vivons vraiment pas dans le même monde.

Nous ne parlons pas le même temps, le même travail, la même vie…

Et pourtant, je dois bien avoir saisi quelque chose de tout ça qui me rapproche un peu de toi, Rosita, car je suis à peine surprise, quand la caissière, qui a suivi notre conversation, me demande d’ouvrir mon sac au passage…
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QUAND ILS PARTENT
Chaque année, c’est la même chose.

A peine les fêtes de noël sont elles passées que ça sent déjà l’été pour eux.

L’été, c’est le départ, le voyage.

L’hiver, d’octobre à mars, c’est le temps où les enfants sont à peu près scolarisés et où les familles se posent dans leur région d’origine.
Cela peut paraître étrange mais contrairement à ce que l’on peut penser, les gens du voyage ne voyagent pas toute l’année et ceux que je rencontre ici sont attachés à leur territoire.
Ils y achètent des terrains, pour bâtir des maisons où passer l’hiver.

Dès le début du mois de janvier, ils commencent à parler de partir.
« Demain, on part ! »
C’est toujours « demain » mais la semaine d’après, ils sont encore là…
Que dire alors ? Qu’ils sont en partance ?
Sans doute est-ce ce qui me donne si souvent à penser qu’ils restent insaisissables et terriblement libres.

Quand ils sont partis, je me retrouve « orpheline ». Je leur en veux un peu de me laisser plantée là comme une « paysanne ».

Ils me disent : « on t’enverra des cartes postales ! » « On te rapportera de l’eau de Lourdes »

Merci. C’est gentil…

Les cartes postales, ils me les rapportent en même temps que l’eau de Lourdes, les médailles et les saintes vierges en plastique.
Ils m’offrent un petit tas de cartes ; la Tour Effel et les jets d’eau du Champs de mars.
La Vierge Marie sous tous les angles, « On s’éclate à Montalivet ! » vu d’avion.
Rien n’est écrit au dos des cartes… Vous pensez !
Mais tout de même, ça me fait drôlement plaisir…


Je suis avec une famille, un petit matin de janvier brumeux et nous allons rendre visite à une de leur fille hospitalisée.
Fleur, la mère, m’a demandé de les accompagner « parce que tu comprendras mieux que nous ce que le docteur va expliquer »

Je suis au volant, Joselito, le père à mes côtés.
La mère et la marmaille à l’arrière.
Nous roulons sur une nationale quand tout à coup Joselito s’écrit : « Mamma ! T’as vu les mimosas !? »
Oui c’est joli les mimosas. Ils sont rudement en avance cette année…
« Mais il faut qu’on parte si les mimosas sont en fleurs !!!
« Demain. On part ! »

Cette année là, la famille est partie à la mi janvier.

Ils ont eu beau dos mon agenda et mes rendez vous pris jusqu’en Mars !
A la poubelle ! Mon calendrier et mes repères de gadji.

Pourvu que cette année le printemps n’arrive pas trop vite parce qu’à force, je vais devoir trouver du boulot ailleurs moi !
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PAUVRE MONSIEUR LE MAIRE
Monsieur le maire n’est pas content.
Trente caravanes stationnent sur sa commune depuis deux mois et les commerçants menacent de quitter les lieux si « ces maudits gitans ne vont pas faire leurs conneries ailleurs. »

Il lance un référé pour les chasser des lieux.

Je suis dans son bureau avec Momo et ça chauffe sec…

Nous expliquons que nous avons compté les caravanes et qu’en fait de trente, il y en a quinze et que celles qui sont là cette semaine ne sont pas les mêmes que celles de la semaine dernière.

Ben non, ce ne sont pas ces gitans là qui ont fait griller le cochon sous les fenêtres de l’entrepôt de cosmétiques le jour de la visite du Président Directeur Général.

Ben non, ce ne sont pas eux non plus qui ont insulté une employée, suspendu le linge au portail, jeté des pierres sur la voiture du conseiller municipal, tiré des coups de fusil sur les pigeons voyageurs du voisin…

Ben oui, ceux là sont partis et ont été remplacé par d’autres, soyez en assuré, monsieur le maire, beaucoup plus calmes.

« M’EN FOUS ! »

Voyons monsieur le maire… On ne peut pas faire payer à des gens, des fautes que d’autres ont commises…

Vous savez bien comme nous que la seule aire d’accueil de l’agglomération est complète et que tant que nous n’aurons pas construit de nouveaux terrains, il faudra bien que les gens stationnent quelque part.

Pourquoi chez vous ?

Parce que c’est proche de l’école et du supermarché, qu’il y a de la verdure et pas trop de circulation, des bouches d’incendie pour laver le linge et des lampadaires pour brancher le chauffage des caravanes…

Je sais, ça vous énerve mais c’est pourtant aussi simple que ça.

Je sais, vous aimeriez bien qu’ils trouvent la commune voisine aussi attrayante…

Je sais c’est toujours sur vous que ça tombe…

Mais vous savez, monsieur le maire, si en 91, avec l’ancienne loi Besson, on avait construit les trois terrains préconisés par le schéma départemental d’accueil des gens du voyage, peut être qu’aujourd’hui, nous n’en serions pas là…

Je sais… en 91 vous n’étiez pas encore maire…

Que peut on faire ?

Rien… Monsieur le maire et surtout pas tous les mettre dans le même panier, en faisant payer à ceux d’aujourd’hui, les fautes commises par ceux d’hier.
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MADAME REINE
Madame Reine demande si peu et toujours si bien.
Elle enrobe ses demandes de « s’il vous plait- merci » moelleux et ronds comme ses « r » qu’elle fait rouler.
Elle commence toujours nos rencontres par des « peut être que vous ne pourrez pas mais si vous pouvez, je vous donnerai un petit quelque chose ».
Elle est comme ça Madame Reine, tellement comme ça que je l’appelle Madame quand elle m’appelle « mon petit ».
Elle a eu pleins d’enfants qui la couvent depuis la mort de son mari.
Toute en noir, madame Reine. Toute en deuil…

J’apprends à la connaître.
De tout petits bouts d’elle et de sa vie qu’il faut chopper au vol au cœur de sa retenue.
Quand je téléphone pour elle, elle insiste pour payer.
Quand je fais une lettre elle me donne de l’argent pour les timbres.
J’explique que ce n’est pas la peine mais ça lui donne une drôle de mine, un peu triste, un peu gênée.

Parce qu’elle est comme ça. Elle ne veut rien devoir à personne.
Parce qu’elle est de ceux qui mettent un point d’honneur à être des « gens comme il faut ».

Elle ne vient pas souvent dans le secteur. Deux, trois fois par an pour rendre visite à sa famille.

Jamais elle ne met les pieds sur l’aire d’accueil car elle est de « la haute ».
Sa sœur est propriétaire d’une maison fleurie de caravanes lorsque l’hiver arrive.
Des gens bien comme il faut, de gros commerçants, qui n’ont jamais besoin de mes services.
Aussi, quand Madame Reine a besoin de me voir pour quelques papiers, elle me donne rendez vous sur le parking d’Auchan ou à la cafet’ de Flunch. On ne veut pas de moi chez sa sœur. Ca la ficherait trop mal.

Je débarque alors avec le camping-car bureau, elle me fait des grands signes avec le tas de papiers qu’elle tient à la main et on fait nos petites affaires.

C’est Noël. Rendez vous sur notre parking. J’écris ses cartes de vœux. Une pour l’association qui l’aide dans ses papiers à Nice, une pour celle de Lyon, Strasbourg, Toulouse…
Une pour la dame qui l’aide à faire sa déclaration d’impôt, une pour la dame qui l’a aidée à monter son dossier de retraite…

Elle dit tout le temps merci, Madame Reine, « Merci pour tout ça que vous faites pour moi et pour mes enfants »

Quand je lui dis que c’est plutôt rare de rencontrer des personnes, même chez les gadjés, qui témoignent aussi vivement leur reconnaissance, elle me répond : « Quand même ! On n’est pas des sauvages ! »

Ce n’est pas du tout ce que je voulais dire…

Alors que je termine d’écrire les adresses sur les enveloppes elle farfouille dans son sac.
Je redoute toujours ce moment où je vais devoir dire non à l’argent qu’elle va me tendre.

Ses yeux pétillent et elle prend les devants :

« Je sais que vous ne voulez pas d’argent mon petit alors j’ai pensé que ça, ça pourrait vous faire plaisir… »

Elle prend ma main et la colle contre la sienne baguée d’or.
Elle me la tient un long moment en me regardant fixement jusque derrière les yeux.
Je souris, un peu gênée, un peu curieuse.
« C’est pour toi, petite. Pour tes bons yeux. »
Je sens alors glisser dans ma paume un petit truc froid.

Une médaille de la vierge en forme de cœur.

« Ca te portera bonheur… »

J’ai envie de mordre dedans, comme je l’ai vu faire, parce que si c’est du « vrai », je ne peux vraiment pas l’accepter.
Mais Madame Reine se lève déjà et je bredouille un merci en l’aidant à descendre du camion.

Je me mes au volant, pose ma médaille sur le tableau de bord. Elle me nargue en glissant de droite à gauche dans les virages.
Je la rattrape au vol dans un rond point et la colle dans ma poche.

Vraie ou fausse d’or, après tout, qu’est ce que ça peut faire ?

Un peu de bonheur… c’est toujours bon à prendre.
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TU MANGES VERS NOUS?
Une fin de matinée de mai, je viens voir une vingtaine de caravanes qui stationnent sur la zone commerciale .
La communauté d’agglomération m’a demandée de venir aux renseignements pour avoir une idée du temps de séjour et indiquer l’aire d’accueil aux voyageurs.

Ces voyageurs là, ce sont « les nôtres », des familles qui séjournent ici l’hiver, revenues quelques jours sur la région pour régler quelques affaires administratives.

L’aire d’accueil, ils la connaissent bien et me signifient qu’ils n’ont pas l’intention d’y mettre les pieds car ils la voient bien assez l’hiver…

Grandes retrouvailles…
Je ne les ai pas vu depuis trois mois…
Leur courrier non plus et j’en ai pour un moment avant d’avoir rattrapé le retard et épluché toutes les demandes.

Alors que je termine de remplir la dernière déclaration trimestrielle de ressources, Vincent s’avance vers moi et me propose de manger avec toute la famille.

J’hésite un instant, puis, fini par accepter devant l’insistance des enfants.
Laura, 8 ans, part en courrant crier aux dix neuf autres caravanes que « La Fanchon mange vers nous ! La Fanchon mange vers nous ! »

Alors je deviens reine et ma cour ne se fait pas attendre.
On m’offre une chaise, on me dégotte un peu d’ombre et la grande cérémonie commence.
On est au début du mois, les allocations viennent de tomber et ça se voit aux entrecôtes qui grillent sur la braise.

Quarante personnes m’observent maintenant.
Comment vais je bien pouvoir me dépatouiller de ce morceau de viande, sans assiette, sans couteau ni fourchette …
Devant mon trouble, Vincent me tend un bout de pain et un couteau et me montre comment on mange « vers nous ».

Il pose la viande sur le pain, coupe un peu de l’un, un peu de l’autre et enfourne le tout, tenu entre pouce et lame.
Je le copie. Je ne m’en sors pas si mal…
Même opération pour la salade, un peu plus délicate cependant…

Je me décrispe et nous discutons des villes dans lesquelles ils ont séjourné ces dernières semaines.


Je me rends compte qu’ils connaissent bien mieux leur géographie que moi pour voir qu’ils ne savent pas lire une carte de France.

La saison n’est pas terrible.
Le travail devient de plus en plus difficile.
Les gens de plus en plus méfiants…

Pourtant ils s’adaptent à la demande en offrant des petits services aux particuliers(élagage, peinture, ravalement de façades…)
Quelques uns perpétuent la traditionnelle vente sur les marchés mais là encore, rien à voir avec les foires d’autrefois.

Voyager coûte cher… Si ça continue, ils ne pourront bientôt plus se permettre de partir et devront se sédentariser.

J’écoute, refuse un verre de vin et un troisième bout de viande.

C’est la première fois qu’ils se laissent aller ainsi, en ma présence, à leurs inquiétudes sur leur devenir.
C’est la première fois qu’ils laissent tomber leur masque de « fils du vent » libres par dessus tout et fiers d’échapper à la règle des gadjé.
Ils ont pourtant traversé les siècles et se sont toujours adaptés, à leur manière, aux besoins des sédentaires pour pouvoir commercer avec eux.

Je sens bien leur peur : Etre obligé de devenir comme nous.
Pourtant, chaque jour, je vois leur résistance.
Cette force qu’ils développent dans une volonté de rester libres malgré tous les désirs exacerbés de notre société d’en faire des gens comme nous.

Bien peu de place pour eux, maintenant qu’une chaise neuve coûte moins cher qu’un rempaillage.
Bien peu de place pour eux , maintenant qu’il y a des déchetteries pour récupérer, trier et recycler nos ordures.
Bien peu de place pour eux, maintenant que nous avons tout institutionalisé.

Je croque dans mon fromage.
Un enfant se colle contre ma cuisse.
Je pense à son avenir en le hissant sur mes genoux…
Saura t’il résister à son tour ou sera t’il annihilé par la loi des institutions ?

Je me dis qu’il a de quoi voir venir compte tenu de tout se qui le sépare encore de moi, jusque dans sa façon de manger…

Je regarde autour de moi en me léchant les doigts, tout le monde rigole… J’ai fait une tache de gras sur mon tee-shirt au cours du repas…

Ces rires me rassurent un peu sur le devenir de mes hôtes.

Ce sont de sacrés débrouillards …

Je ne suis qu’une gadji maladroite et eux, des gitans dégourdis… Capables de s’adapter à la plus précaire des situations et de s’en tirer haut la main et sans une tache !
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LES SILENCES DE LINDA
Ils pèsent lourd les non-dits de Linda sur mon cœur de femme…

C’est au travers d’eux que j’ai appris quand je devais éviter de m’avancer jusqu’à sa caravane.

Un dos tourné, une porte qui se ferme, un rideau qui se tire à mon approche.

Il doit être dans le coin…
Je dérange.

Je dérange dans ce royaume où elle n’est pas une princesse et où son mari règne en tyran.

Elle m’a juste dit un jour : « Tu sais, mon mari, il n’est pas commode… »

Elle n’a pas eu besoin d’en dire plus.
Ses lèvres fendues et ses yeux au beurre noir parlent pour elle.

Un jour que le roi est de sortie, elle m’invite à prendre un café, ferme la porte et tire le rideau derrière nous.

J’ai le grand privilège de pouvoir pénétrer le royaume des coups…
J’attends ce moment depuis plus d’un an.

C’est moi qui parle : « Vous savez, il n’a pas le droit. Il existe des foyers où vous pourriez être accueillis avec vos enfants et où il ne vous retrouverait pas ».

Elle m’explique qu’elle ne pourrait pas vivre loin de la communauté et que même ses parents n’approuveraient pas sa fuite.

« Chez nous, ça se fait pas… »

Je lui glisse tout de même ma carte, lui dit que le numéro d’urgence de la police est le 17.

Sur le chemin du retour, je mesure toute mon impuissance et la sienne.

J’ai besoin de prendre l’air et je gare ma voiture sur le bord du chemin.
J’allume une cigarette quand un fourgon s’arrête à ma hauteur.

« Alors ma chérie ! »

Le roi est de retour…

Je bouillonne, soutiens son regard et pense :

« Je te mettrais bien mon poing dans la figure ... sale con! »

Face à mon mur, il tente une offensive et me demande si je vais bien.

Non.Ca ne va pas du tout mais si je lui dis ça, il va se douter que j’ai eu une conversation avec sa femme .
Si je peux au moins éviter à Linda cette raclée là…

Alors, je dis que je vais bien à part un peu de fatigue et du plus pénible de mes efforts j’arrive à sortir un : « Et vous, ça va ? »
Il me répond qu’il faut bien et prend congé.

Je reste plantée là à le regarder regagner royalement son trône.

Il est déjà tard. Je dois passer prendre mes enfants à la garderie.
Je compte sur les vingt minutes de trajet pour me détendre, fermer mes portes et mes rideaux sur ma colère, ma peine...


Mais que me laisseras tu voir demain Linda?

Combien de bleus, de côtes cassées ?
Combien de silences, de dos tournés , de larmes ravalées ?
Combien de peurs et de désespoirs ?

A demain , Linda.

Si ton roi de mari le veut bien…
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LES CULS NUS
Ils sont des dizaines à courir partout au printemps.
Des dizaines à me grimper dessus dans le camping- car, avec leurs bottes en plastique, version crocodiles ou coccinelles.
Ca fourmille, ça gigote.
Ca pétille, ça grignote.
Ca grignote un crayon, un « post-it ».
Ca grappille mon papier à lettres, mon téléphone.
Ca ouvre les placards pendant que je discute avec maman.
Ca fouine, ça fouille, ça tripote.

Quand il arrive que ça m’énerve, je hausse un peu le ton et je vire mes petits naturistes.
Maman me dit que j’ai raison, que je ne dois pas me laisser faire, que vraiment « t’es patiente la Fanchon… »
Patiente, pas vraiment. Curieuse, un peu plus.
Moi qui serine à mes gosses qu’on ne doit pas montrer ses fesses à n’importe qui.
Moi qui achète des hauts de maillots de bains à ma fille de 05ans pour cacher ce qu’elle aura un jour…
Je découvre l’enfance à l’état pur.
Une liberté.

Tommy a 04 ans. Eté comme hiver, il vit nu. Sa mère a renoncé à le rhabiller plusieurs fois dans la journée.
Pas de contrainte pour Tommy, rien qui le sert au cou ou à la taille.
Pas de col, pas de ceinture.
Pas de pull, pas de pantalon.
Juste son petit cul nu et ses bottes et encore, quand il fait un peu frais.
C’est ainsi qu’il veut.
C’est ainsi qu’il va.

LIBRE.

Moi, je couvre, je cache.
Je « sous-pulls » et « chemisettes ».
Cache-nez et oreillettes…
Mes enfants sont des oignons que j’épluche chaque soir au moment du bain.
Ils n’en sont pourtant pas moins malades…
Tommy, lui, il s’épluche tout seul dès que sa mère a le dos tourné.
Il renifle comme les miens, ni plus, ni moins en baladant son petit cul au cœur de l’hiver.
Au début, je grelottais pour lui, je me gelais de le voir aller ainsi.
Puis sa mère m’a expliqué.
« Bah ! C’est comme ça. Il ne veut pas, il ne veut pas… Y’a rien à faire. »

Alors j’ai compris qu’il ne fallait pas que j’insiste et j’ai grelotté en silence deux hivers entiers.
Je me suis habituée.
Puis Tommy a eu l’âge d’aller à l’école des gadjé et les choses ont changé.
Sous le cartable flambant neuf, un petit garçon emmitouflé.
La norme avait frappé.
Fini, la ronde des petites fesses de Tommy entre les caravanes.
L’école s’est chargée de les habiller.
Une culotte tricotée aux aiguilles de ma communauté.
Une maille à l’envers, une maille à l’endroit en petits rangs bien serrés… Bien serrés sous le préau.

ET EN SILENCE !

Une ! Deux !
Une ! Deux !
Une maille à l’envers, une maille à l’endroit… Une maille à l’envers, une maille à l’endroit…
Bien serrés les rangs…Pour bien t’étouffer.
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PING-PONG
PING la petite fille… PONG ! La maman…

En un coup de raquette, j’ai vu la petite Eva devenir une « femme ».
Ici, ce sont les guillemets qui comptent. Ce sont eux qui s’imposent…
Hier encore avec Eva, je faisais du vélo, du canoë, du ski. On barbouillait des murs de peinture en écoutant « NRJ » lors de chantiers éducatifs.
Je souriais un peu en l’écoutant hurler les tubes de la « Star Ac’ » en super yaourt (ben oui, elles parlent un drôle de français mais chantent en anglais les petites gitanes ! )

Déjà, j’avais trouvé ça un peu étrange que sa mère, un jour que nous rentrions d’une sortie « camping-canoë » lui colle une bassine de linge à étendre sur les bras, à peine descendue du camion de service, sans même lui demander comment s’était passé son week-end.
Déjà, je m’étais dit que j’étais peut être allée un peu trop loin avec elle.
Faire attention à ne pas la mettre en porte-à-faux avec sa culture. Ne pas la séduire avec les loisirs de ma communauté, ne pas prétendre pour elle ce qui me semblait juste, à moi mais rester respectueuse de sa famille, de son devenir…

Déjà, je m’étais pris le « PING ! » ce jour là.

Le « PONG ! » est arrivé peu de temps après, quand au jour de ses 16 ans elle a cessé d’aller à l’école. Ce fut un tout petit « PONG ! » un peu mou-amer, un peu hésitant…
« De toute façon, ils m’apprenons plus rien à l’école ! Je sais un peu lire, ça suffit bien pour se débrouiller. Du moment que je peux aider ma mère dans ses papiers… »

Bon… J’avais ravalé…

Et puis elle a commencé à regarder les hommes, un surtout, marié…
Il était gentil, lui faisait des cadeaux, la promenait dans son beau camion tout neuf, lui promettait la lune, lui dérobait sa fleur…(Une fleur de gitane, tout de même ! Quand on sait que les jeunes mariés doivent passer par la cérémonie du mouchoir portant le sang de la jeune épouse au soir de leurs noces…) Mais bon, il était gitan, lui aussi, alors c’était « moins grave »)
Alors je me mis à brandir mes plaquettes de pilules, mes accompagnements au Planning Familial et mes recommandations.
« Mamma ! mais pour quoi faire ?! »

Ensuite, le prometteur de lune est allé en prison et « PONG ! » 15 jours plus tard mon Eva se mariait avec un qui en sortait. Un très vague cousin.
J’étais partie en vacances, presque joyeuse des quatre murs bien gardés qui allaient préserver Eva et je repris le boulot au cœur de son revers.
Une semaine… C’est le temps qu’il lui avait fallu pour se retourner dans le bon sens, celui de sa destinée de femme gitane.
En une semaine, du haut de ses 16 ans elle avait rencontré, séduit et épousé un gitan.
Un zigomar mais un gitan tout de même... (pour le mouchoir, j’ignore comment ils se sont débrouillés.)

Elle l’aimait alors vite, vite ! Il fallait faire un bébé, acheter une caravane, que Zigomar passe son permis… vite, vite !

GLOUPS !!!

« PONG ! » Super « PONG ! » le bébé s’annonce.
Je suis la première au courant car c’est moi qui lis sur les résultats d’analyses que les Béta HCG plafonnent. Entre mes dents, j’annonce la bonne nouvelle et là je me perds dans les yeux d’Eva, ceux de sa mère et la fierté de Zigomar.
Je m’en veux un peu d’avoir serré les dents… C’est pas croyable que je puisse être aussi Gadji par moment.

Alors Eva devient soleil en s’arrondissant comme la lune.
Elle pose ma main sur son ventre lorsque nous sommes seules et je trouve ça beau. C’est simple la beauté…
C’est hors dimension, cette petite fille qui rêve devant les paillettes aveuglantes de la Star-Académie et qui se déforme comme une grande.
Elle me parle de tout.
Des ses visites chez le gynéco, de ses nausées, de ses vergetures…Entre les résultats des dernières éliminations de son programme télé préféré.
Elle s’inquiète un peu et me rappelle moi, dans les méandres de ma première grossesse.
Elle me touche…
Un matin, que je passe voir sa famille et que je tente de coincer Zigomar pour qu’il aille en formation, la mère me lance que : « la petite a perdu les eaux » le matin même.
Aïe ! C’est un peu tôt, 7mois et demi… Mai bon, ça arrive…
Eva est à peine visible dans la pénombre de sa caravane, défigurée par la peur, si petite, si petite fille...
Elle doit entrer à la maternité à midi, sa mère ira avec elle… C’est bien.
Je lui caresse une dernière fois le ventre, tout ira bien, si le bébé veut venir maintenant, c’est qu’il en a besoin pour terminer de grandir dehors, dans ses bras…

Une toute petite puce est née ce jour là et lorsque, après le défilé de toute la famille au service de néo-nat, je me suis décidée à aller rendre visite à la jeune maman, elle était en train d’allaiter son enfant… Elle a croisé mon regard derrière la vitre et je l’ai vu plus fragile que jamais avec son minuscule paquet d’une tonne au creux des bras.

Elles étaient là, toutes les trois ; Eva, sa fille et cette poitrine prête à craquer. Si désunies…

Plantée derrière cette vitre, entre des seins gorgés de lait et des yeux gorgés d’enfance, j’avais le douloureux privilège d’assister à la naissance d’une femme gitane :

Une mère à peine éclose entre les guillemets de son enfance.
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LES MOMENTS
Je crois que toute ma vie, je resterai pleine de ces moments là.
Ces moments où la porte du camping car, ou d’une caravane se ferme sur nous, les filles.
C’est là que les hommes n’osent plus nous déranger car ils ont bien compris que tout ce qui peut se dire maintenant ne les regarde pas que ça leur plaise ou non.

Ca chuchote au dehors et ça glousse au dedans.

Ce ne sont jamais des moments particulièrement formalisés.
Ca vient comme ça, selon le besoin.
Une grossesse, une histoire de pilule ou de menstruation.

Café ou limonade, selon la saison, on sirote à quatre ou cinq cet instant privilégié.

Rigolade.

« Mamma ! Moi tant que j’aurai pas fait mettre mon stérilet, c’est ceinture pour mon homme ! Il peut toujours venir me chatouiller, je me laisse pas ronger ! Il a qu’a aller voir ailleurs en attendant ! Tu te rends compte je n’ai que 19 ans et déjà trois enfants… »

Quand je me risque à parler de préservatifs…

« Mamma lui ?! t’es folle ! »

Ben pas si folle que ça, je trouve… Mais je comprends que pour mes compagnes du moment, préservatif = SIDA.

Bon ! Papier, crayons, je dessine car la véritable question est de savoir si oui ou non le fil du stérilet dépasse et comment.

« Il dépasse bien de ton col, mais pas de ton corps. Tu vois, comme ça. Dehors on ne voit rien et dedans, on ne le sent pas. »

Tout le monde me sort des « Ahhh… Oui-oui… »

« Et l’implant qu’on te met dans le bras ? Ca fait mal ça non ? »

« Non, ça ne fait pas mal parce qu’on te fait une petite anesthésie locale pour le mettre.
C’est un tout petit bâton, grand comme une allumette qu’on te glisse sous la peau, avec ça t’es tranquille pour trois ans, tu ne sens rien du tout et si veux un autre enfant, il suffit de le faire retirer. »

Pour la pilule, c’est pas la peine. Trop compliquée à prendre à heure fixe.

Ca dévie…

« Et toi, qu’est ce que tu prends ? »

J’explique que pour moi, c’est le stérilet.

« Et ça t’a fait mal quand tu l’as fait mettre ? »

Et voilà ! Elles n’en n’ont rien à faire de mes beaux dessins et de mon petit cours, une fois de plus, on vient chercher l’avis et les pratiques de « femme Fanchon ».

« Non, ça ne fait pas mal, juste une petite contraction et le médecin fait très vite. »

Et de là, nous partons sur nos accouchements, sur les « Mamma ! Pour le premier, je me suis sentie mourir ! » et « Et moi je criais : tuez moi ! » Le tout couronné de rires.

Parmi ces mères, pas une n’a jamais fait de préparation à l’accouchement, elles restent convaincues que cela ne sert à rien.
Elles accouchent avec une mère, une tante ou une sœur, quittent la maternité le lendemain de la naissance, voire le jour même parce qu’elle ne supportent pas d’être « enfermées dans l’hôpital ».

Elles vivent leur maternité comme le reste de leur vie : A l’arrache.

Cela me sidère et elles le voient bien, en jouent même.
Je suis une rigolote avec mes péridurales, mes cours d’accouchement sans douleur et ma rééducation post- partum.

Mais l’heure est à la légèreté et je ris de bon cœur avec elles.

Johanna sort quelques fringues d’un placard, un lot de jeans qui vient d’Espagne et la séance d’essayage commence.
J’y ai droit aussi mais heureusement, il n’y a pas ma taille. Les franges, c’est pas mon truc.

On me tend quelques gâteaux et Maria, restée ronde de sa dernière grossesse, me parle de régime en s’empiffrant.
Je n’ose rien dire sur les gâteaux parce que de toute façon elle a son régime miracle : Un verre de vinaigre après chaque repas…
J’ai eu beau lui dire que ça ne risquait que de lui coller un ulcère à l’estomac…

Lydia commence à chanter en se regardant dans le miroir.
Mais la récréation semble avoir assez durée pour son homme qui ouvre la porte sans frapper en demandant :
« Qu’est-ce que t’as préparé à manger ? »

Je chiffonne mes dessins, l’heure d’aller promener mon stérilet ailleurs a sonné.

Dehors, ces messieurs nous regardent descendre de la caravane une par une du coin de l’œil.

Lydia me chuchote dans son sourire:

« Ils craignons que tu nous mettes des trucs dans la tête »

Sans blague !
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LE NOEL DE LINDA
La veille de Noël, je passe dans la zone commerciale où depuis quelques mois une dizaine de caravanes attendent désespérément le printemps.
Désespérément, c’est bien ça.

Les familles qui vivent ici, n’ont pas trop le choix, l’aire d’accueil est pleine alors, le terrain vague derrière la grande surface est un moindre mal.

Bien entendu les enfants traînent et les commerçants n’en finissent plus de se plaindre. Les élus s’agacent et moi, je n’y peux rien.

C’est un peu à reculons que je viens ce jour là, je fais une overdose de gadoue, de fumée de bois, de bisous « morvouilleux », de chiens galeux , de misère…

La période des fêtes renforce mon écoeurement, j’ai terriblement besoin de vacances.

Linda est là. Elle lave une montagne de linge sous la cascade d’une bouche à incendie.
Son petit bout de garçon qui marche à peine, tente d’escalader le caddie qui lui sert de parc.

Même si le système est ingénieux (il évite que l’enfant ne patauge dans l’eau de lessive et le protège du passage des voitures), il reste néanmoins vécu comme une prison dès lors qu’il est immobile.

Linda est là donc, à frotter, brosser, lessiver son Evrest de linge.

« Tiens ! » me lance t’elle levant à peine le nez, « tu viens m’aider ?»
Je ne sais que répondre à part un tout petit « bonjour…»

Elle se redresse alors et me jette des yeux taquins. Ouf ! elle plaisantait.
« Depuis ce matin, je fais que ça, laver dans le froid. Je vais bien finir par attraper
La mort ! »
Je n’ose même pas la plaindre et mon regard reste fixé sur ses mains bleues.
Je pense à ma machine à laver, à la sienne qui a rendu l’âme aux premières gelées et aux collègues de la Caisse d’Allocations Familiales qui lui ont refusées le prêt pour en acheter une neuve.

Je libère le petit de sa prison pour ne plus l’entendre brailler et parce que j’ai peur qu’il réussisse à s’échapper tout seul avec une bosse à la clé.
A peine dans mes bras, il fait l’anguille en crissant des « Mammaaa ! Mammaaa ! »

« Et lui qui me ronge aussi ! Je peux rien faire avec ce gosse ! Si je le laisse parterre, il va se tremper et attraper mal avec le froid qu’il fait ! Vraiment, je te le dis ma p’tite Fanchon… C’est pas une vie ! »
Je lui demande si son mari ne peut pas le garder pendant qu’elle lave et son « Mamma ! Lui ?!! » me fait saisir l’idiotie de ma question.
« Il est encore parti traîner je sais pas où ! »

Elle essuie ses mains sur ses jambes, récupère son bébé et me demande :
« Tu fais quoi pour la Noël ? »
« La famille, les enfants… et toi ? »
« Ben lui, il va sortir, encore… »Ses yeux s’éteignent un peu… « Moi je voulais amener les petits à « Flunch » à midi…Il veut pas que j’aille vers mes parents alors je vais rester là, avec les enfants… En plus j’ai même pas de cadeaux pour eux…Lui, il a acheté une « play station » il dit que c’est pour les petits mais il ne les laisse même pas jouer avec ! Il a dépensé tout l’argent en plus… Je sais même pas ce qu’on va manger… »

Ben oui Linda, ce n’est pas nouveau que ton Roi de mari est un salle gosse…

J’ai un peu la nausée et ne pense qu’à partir. Il y a des jours comme ça où l’on n’a plus envie de voir. On ne pense qu’à se protéger.
Dans tes mots Linda, dans ta vie, il y en a trop pour moi aujourd’hui. J’en peux plus de ton mari ! J’en peux plus de ton malheur! Il me devient insupportable.
On a fait le tour de la question ensemble des dizaines de fois et tu en arrives toujours à la même conclusion : « Bah ! c’est comme ça. On n’y peut rien… »

Ben aujourd’hui, t’y pourras rien toute seule parce que moi… Je suis fatiguée.

Clic clac ! C’est bouclé. Au revoir Linda et Joyeux Noël !

Je lance tout de même en partant que je vais voir si je peux trouver un colis alimentaire…

Je profite de la pause de midi pour terminer mes achats et pendant que la vendeuse frise le ruban des flacons de parfum, je découvre que le gamin s’est mouché sur mon manteau…Le contraste de cette tâche avec les 140 Euros que je viens de balancer m’achève totalement…

Je passe l’après midi à me cogner aux portes des associations caritatives pour enfin faire le piquet au secours populaire.

Dans la minuscule salle d’attente, tout un tas de gens patientent pour qu’on leur donnent de quoi…MANGER !

Bêtement, je réalise qu’on peut avoir juste faim la veille de Noël…

CLAC ! Petite bourgeoise ! Prends ça !

L’envie me prend de courir au magasin de cosmétique pour rendre mes achats mais je me ravise en pensant aux mots de Linda : « Bah ! C’est comme ça. On n’y peut rien… »

En remerciant la bénévole du Secours Populaire pour le colis, je me console tout de même d’ « y pouvoir » ne serait-ce que ce vraiment pas grand-chose.
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LES MAUVAIS PAUVRES



Il y a un truc qui cloche, qui dérange chez les gitans.
Ce sentiment qu’ils n’ont besoin de rien mais demandent tout.
Il y a cette image qui agace, les belles caravanes et les gros fourgons.
Les billets qui dépassent de la poche, de l’or partout qui claque au cou, aux oreilles, aux poignets et dans la bouche.
Celui qui voit ça de loin envie un peu, s’interroge, fantasme beaucoup…
Celui qui voit de près comprend.
Car comme partout, il y a le riche, il y a le pauvre.
La seule différence avec nous, c’est que même le pauvre soigne son image.

Ainsi, je vois dépasser des poches, le 05 du mois, l’argent fraîchement touché des allocations familiales.
Ainsi, je vois briller aux oreilles ce que nous, gadjé, n’en finissons plus de planquer dans les petites caches bien camouflées de nos intérieurs, de notre intérieur…
C’est là que nous ne nous comprenons plus. Sur cette notion d’intérieur et d’extérieur.
Ce que planque un gitan, c’est ce qu’il est au fond.
Ce qu’il montre, c’est ce qu’il a de plus clinquant.
Ce que planque un gadjo, c’est ce qu’il a.
Ce qu’il montre, c’est le moins possible.

Du paraître au disparaître de tant de discrétion…

Mais je les vois, les crédits saignants sur les fourgons et les caravanes.
Je les vois les 25 du mois aux pommes de terre et à la couenne de porc.
Je les croise les regards inquiets interrogeant le repas du soir.

Cigales et fourmis…
Et la morale de l’histoire est une morale de gadjé.
Pourquoi la cigale ne continuerait elle pas à chanter tranquille ?
Pourquoi devrait elle avoir honte de venir frapper à la porte de dame fourmis quand, « ayant chanté tout l’été, elle se trouve fort dépourvue ? »
Surtout qu’elle ne fait pas que chanter l’été, la cigale.
Elle travaille dur, sur les marchés et dans les jardins des fourmis, pour élaguer, tailler, tondre et ravaler les murets.
Oui mais voilà, ça coûte cher une caravane et ça se change souvent.
Ca coûte cher un fourgon pour tracter la caravane et travailler…

Aussi, « quand la bise fut venue » et qu’on ne voyage plus pour faire un peu d’argent, il faut bien manger, habiller les enfants et continuer à payer les crédits.
Alors on vient frapper aux portes des gentilles fourmis des associations caritatives.
Et… Bien souvent, on se fait jeter dehors parce qu’on n’a pas l’air si pauvre que ça, avec notre or jusque dans la bouche.
Parce que nos enfants qui courent partout ne disent pas « s’il te plaît-merci à la dame ».
Parce que jusque dans la pauvreté, on bouscule les images.

On chante encore un peu pour ne pas faire déchanter notre fierté.
On affiche ce qui nous sauve de la misère.
On demande beaucoup parce qu’on espère avoir un peu.
Par dessus tout on pétille, on brille, on vit…
Et là, ça ne colle plus du tout avec l’idée que le sens commun se fait « du pauvre »et ça dérange.
Alors j’entends : « Tout de même, quand on voit leurs caravanes flambant neuves ! »
« Et tous ces bijoux ! » …
« Il y a des gens bien plus dans le besoin qu’eux ! Des pauvres miséreux ! »

Des pauvres miséreux…Comme si ça ne suffisait pas d’être pauvre…
Comme si plus rien ne devait briller.
Comme si la pauvreté ne devait se borner qu’à un état limité dans lequel certains tombent en devant tout abandonner à sa frontière. Sa fierté, son sourire, sa dignité.
Comme s’il fallait déjà être un peu mort pour rassurer les vivants.
Ce qui nous gêne vraiment, c’est que les gitans soient riches de vie quand ils n’ont plus d’argent et qu’ils continuent d’arborer un paraître d’or quand nous, nous vendrions la bague de fiançailles de notre grand-mère pour acheter trois patates.

Eux, la grand-mère, ils l’enterrent avec tous ses bijoux pour que jusque dans la mort, elle ne semble jamais miséreuse et qu’elle brille de tous ces éclats devant le Seigneur…

Eux, ils soignent jusque dans leurs sourires, leur image de « mauvais pauvres » pour ne jamais l’être tout à fait et continuer à briller, briller… Jusque dans l’adversité.
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LA LETTRE





J’ai écrit tes larmes et ta colère, Tobby.
Il faisait déjà chaud, ce matin de juin où tu as sauté dans mon camion en me disant :
« Il faut que tu m’aides toi. Moi je sais pas écrire… Je veux écrire au MRAP pour qu’ils sachent bien ce qui nous arrive ».


Madame, Monsieur ;

Je souhaite par la présente vous informer d’ actes de discrimination dont ma famille et moi même avons été victimes.
Alors que nous nous présentions à la croix rouge de……. pour recevoir un colis alimentaire, nous nous sommes vus jetés dehors en nous faisant traiter de « Sales Gitans ! ».

En effet, cette association refuse depuis plusieurs mois de nous servir.
Les seules raisons invoquées sont les suivantes : « Vous êtes tous les mêmes ! »
Croyez bien que si nous pouvions nous passer des aides alimentaires nous le ferions volontiers.
Mais pour nous aussi, il y a des moments difficiles.
Chez nous, c’est comme partout. Il y a des riches, il y a des pauvres. D’honnêtes gens et des voyous.
Croyez vous normal qu’on me refuse ma carte de chasse sur la commune où je réside sous prétexte que si on me la donne, d’autres gens de la fédération ne voudront plus la prendre ?
C’est pourtant ce que l’on m’a dit cette année…
Je suis inscrit à la chambre des métiers et je travaille honnêtement.
Après une période difficile, j’ai trouvé un chantier. Je dois ravaler la façade d’une maison.
Cela devrait permettre à ma famille de manger quelques temps.
Ce matin, je me suis rendu à la Croix Rouge espérant trouver un bleu de travail pour attaquer ce chantier.
On m’en a demandé 18 Euros.
N’ayant pas un sou en poche, j’ai demandé qu’on me fasse crédit… j’ai dû repartir les mains vides.
Je souhaite que vous m’aidiez au moins à faire connaître la façon dont on traite les gens du voyage ici.
Je vous serais très reconnaissant de bien vouloir me répondre car ma famille et moi avons besoin de nous sentir soutenus..

Simplement, J’aimerais que les gens nous voient autrement que comme des voleurs de poules.

Vous remerciant pour votre aide et votre réponse, je vous prie d’agréer Madame, Monsieur, mes sincères salutations.


Je relis à voix haute. Une dizaine de personnes se bousculent à la porte restée ouverte du camping-car.
Silence… Toutes les oreilles sur ma voix… Tous les regards sur mes lèvres.
A chaque ponctuation fusent des « Là ! », « C’est bien vrai ça ! », « Pourquoi ils nous traitons toujours pareil ? », « c’est pas normal, ça ! »

Toi, Tobby, tu fais le silence avec de grands mouvements de bras et quand j’arrive au bout de la missive, je lève mes yeux sur les tiens. Ils sont pleins de larmes.

Je détourne pudiquement la tête alors que tu tousses un coup et je comprends l’importance de ce que nous venons de faire.
Une page à peine pour réussir à pleurer…
Une page pour dire et espérer enfin être entendu.
Tes mots, tes idées, sous mon encre, sur nôtre papier.

Pour rien au monde je ne laisserais ma place aujourd’hui.
Je ne veux rien perdre de cet éveil, de cette petite révolte, de ce terrible espoir.
Pour une fois que j’ai l’impression d’être utile à quelque chose…

Enfin presque…

Les mois d’été ont passé, tu es parti en voyage avec ta famille et ce matin d’octobre tu te penches étrangement sur moi autour du feu.

« Tu te souviens, Fanchon, de la lettre que on avait fait l’autre fois ? »

Ton sourire veut pleurer.

« Ben on m’a jamais répondu… »
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RICHARD
Dans le bleu des yeux de Richard on voit des corbeaux noirs.

Il a le regard en hiver et son givre me pique.

Ce que j’ai appris de lui, c’est qu’un regard en hiver n’est pas un regard mort.

J’ai vu ses larmes jaillir en geyser et laisser couler son âme en rivière sur ses joues.

Une fin d’après midi de Janvier, je m’apprête à quitter l’aire d’accueil quand je le croise sur le petit chemin qui rejoint la nationale.
Il erre, torse nu et titubant, manifestement ivre.
Je stoppe ma voiture à sa hauteur sur sa demande ; Il ouvre la portière et s’effondre en pleures et à genoux.

« Il faut que tu ailles lui dire , toi, que je l’aime depuis toujours. Il faut que tu ailles lui dire que je la veux… »

J’écoute un long moment ses larmes et ses mots confus ; puis, je lui réponds que je ne peux pas faire ce qu’il me demande mais que, s’il veut bien, nous pourrons en reparler plus tard, un jour où il n’aura pas bu, parce que là, je ne comprend pas tout.

Il prend ma main dans les deux siennes, brûlantes et me remercie.

Durant les mois qui suivent, il me fuit.
A peine un regard.
A peine un bonjour.
Sans doute en a t’il trop dit et a t’il un peu honte.
A 54 ans, une femme et cinq enfants, il m’a livré toute la déchirure d’un amour de quinze ans, à moi l’étrangère, la « paysanne ».


Deux ans ont passé. Nous n’avons jamais reparlé de cette histoire.
Pourtant, je la retrouve souvent au travers de ses ongles noirs pinçant les cordes de sa guitare, dans l’or de sa voix chantant l’amour.
Parce qu’il vit comme ça, Richard , en chantant. Parce qu’il vibre comme ça sous la glace de ses yeux.

Et quand il chante et quand il joue sur sa guitare, c’est tout un volcan qui s’éveille et crache l’amour douleur, l’amour bouillant qui vit en lui depuis quarante ans.

J’aime quand il balance sa lave dans la fumée du feu autour duquel il m’invite à m’asseoir.
Je l’écoute et je l’entends me dire autrement cet amour de jeunesse.
Il m’en dit alors bien plus long qu’au travers de n’importe quelle discussion.


Il me dit tout ; en coulées de lave, en coup de tonnerre sur la caisse de sa guitare.

Il me brûle Richard…

Il me brûle à sa flamme.
Il me brûle à son âme.
Le temps de quelques branches à consumer pour le feu et je viens me perdre au cœur du brasier de cet homme à jamais amoureux de ses quinze ans.
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"ALLO? C'EST TOI LA MENTEUSE?"
« C’est moi, il faut que tu me sauves un peu la vie… Je suis à la gendarmerie de Toulouse et tu le sais bien toi, que j’ai fait un dossier pour la chambre de métiers ? Hein tu le sais ? Ils me croyons pas parce que là, ils m’on arrêté pendant que je travaillais dans une maison et comme j’ai que le papier rose, ça suffit pas. Ils disent que je travaille au noir. Tu vas leur dire hein, toi, ma P’tite Fanchon, aux gendarmes, que je les ai mes papiers ? Hein tu vas leur dire ? Hein ? »

« Mais c’est qui là ? »

« Ben c’est moi ! » et il me donne son nom de famille. Je connais au moins 200 personnes qui portent le même nom que lui ! La famille est grande…
« Enfin, le « Pirouette », le fils de la « Nita », le frère du « Filou », le mari de « l’Abeille », le… »

Ca y est, je vois…

« Tu te souviens que tu t’en étais occupé de mon dossier, qu’on était allé voir la dame qui fait les papiers pour la chambre de métiers et que j’avais dis que je voulais attendre un peu ? Tu te souviens hein ? »

Je me souviens…

« Ben maintenant, je veux bien le finir le dossier. »

Comme par hasard…

« D’ailleurs, il est prêt le dossier. Tu vas leur dire aux gendarmes, hein ? Que même si je voulais je pourrais venir travailler devant leur gendarmerie. C’est bien vrai ! Tu le sais toi ! »

Ben voyons…

« Allez ! Vas-y ma p’tite Fanchon, je te le passe le gendarme ! »

Ben voyons…

Alors j’explique que le dossier est bien en cours et le gendarme me demande le nom et le numéro de « La Dame qui s’en occupe ». A peine ai-je raccroché que je tente de la joindre pour la prévenir… Le dossier est « en cours » depuis si longtemps…
Mince !!! « Toutes les lignes de votre correspondant sont occupées, veuillez…Gna gna gna… »

Le gendarme a dégainé plus vite que moi.

Le lendemain « Pirouette » est de retour en ville. Il n’a pas chômé depuis Toulouse…
Je vois arriver sa caravane de loin alors que je rends visite à d’autres dans la zone industrielle.

Il saute de son fourgon, me tire un sourire « gitanesque », lève les bras au ciel, tape ses mains et les frotte l’une contre l’autre.
« Mamma ! Ma p’tite Fanchon, je te le dis, hier, TU M’AS SAUVE LA VIE ! »

OUF ! « La Dame qui s’en occupe », a dit ce qu’il fallait…

J’attrape le portable : « Bonjour, je suis bien à la chambre de métiers ? Je souhaite prendre un rendez-vous avec « La Dame qui s’en occupe », des inscriptions… Oui… C’est pour un miraculé… ».

Priez pour nous…
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LE SACRE DU FEU
Il danse dans tes yeux.

Toujours en mouvement, comme toi.
Toujours en fuite vers les cieux.

C’est au travers de sa fumée que je te rencontre le mieux.
Tu es là, plus vrai, plus gitan que jamais.

Les volutes me poursuivent et lorsque je rouspète de cet asphyxie, tu me réponds que si cette fumée vient sur moi, c’est que je suis belle…

Sa chaleur brûle mes cuisses et lorsque tu vois ma grimace, tu m’invites à te rejoindre, un peu plus loin, là où le chaud n’est pas le brûlant, là où tu as su l’apprivoiser.

Je t’écoute à travers lui et je t’entends mieux.
Je te vis mieux.
Te comprends mieux.

Il est ta source, ta nourriture.
Où que tu sois gitan, il est là, toujours en plein milieu de toi même.
Au cœur de tes journées, de ta nuit tombante, il est ta lumière, ton autre soleil.


C’est un peu comme si, en premier Homme, tu le réinventais chaque jour.
Et pourtant, jamais tu ne l’éteins.

Tu le nourris de bois vert pour qu’il chante, tu lui souffles ton air pour qu’il danse.
Tu l’endors d’un rondin pour qu’il attende ton lendemain.

Il me parle ton feu, du sacré de ta vie, du froid qui te poursuit...

Il me dit tout bas qu’il est notre brise glace, notre rendez-vous.
Il me montre la voie qui mène à ton essentiel.
Alors, j’écoute son appel et je viens frôler son coeur pour trouver le tien.

Je tousse et ça t’amuse.
Je larmoie et tu excuses la fumée d’un mouvement de la main.

Il faut bien souffrir un peu pour être belle…


Tu partages ta grillade avec moi, tu me tends ce que tu estimes me revenir de pain.
Et je suis ta compagne, réchauffée, rassasiée par ta braise.

Repue, je pense entrevoir le vrai du pourquoi je suis ici.
Je vois le noir profond de ton regard, l’insistance de tes interrogations, le pli de tes inquiétudes sur ton front.

Je vois tout ça et bien souvent, je ne sais qu’en faire.
Je repars alors vers le confort électrique de ma maison immobile, incapable de te donner de véritables explications parce que le Vrai de ma présence autour de ton feu se disperse sans doute un peu dans sa fumée.

Le Vrai serait que je sois en mesure de dire ailleurs tout ce que je vois de ta flamme mais le monde ne m’écoute guère plus qu’il ne cherche à t’entendre.

Ce monde emmuré dans ses certitudes se fiche bien de savoir l’effet que ça me fait de rentrer chez moi le soir, imprégnée de l’odeur ton feu sacré, lorsque la tête sur mon oreiller, je respire dans mes cheveux l’air de ton humanité.
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VALERIE ET LES AUTRES
Elle n’est pas gitane et pourtant, à la voir, on pourrait jurer qu’elle descend tout droit d’une Rosita et d’un Joselito…

Pieds nus, perchée sur le toit de la caravane, un crayon pour tenir son chignon, Valérie lave à grande eau le bien le plus précieux du commun des gitans.

C’est sa belle mère qui m’a fait comprendre un jour, qu’elle était gadji.

Bizarrement, elle a tourné autour du pot un long moment en me répétant, un peu gênée, que Valérie était comme moi « enfin, tu me comprends, c’est une française… Mais c’est une brave petite. »

J’ai compris plus tard que cette jeune femme avait trouvé une famille auprès des voyageurs en épousant l’un d’entre eux.

Elle a passé son enfance de familles d’accueil en foyers.
L’errance, elle connaît .
Elle l’a cependant institutionnalisée au travers du voyage en s’accrochant à l’amour de Tony et des siens…

Si un jour ces mots arrivent jusqu’à la communauté, ce sera probablement par sa bouche car c’est elle qui sait lire et écrire, car c’est elle qui, comme elle le peut, remplit les demandes de prêts, écrit aux avocats, négocie les impayés, lit les journaux locaux et les petites annonces.

Elle est une sorte de « double » pour moi. Une personne ressource dans mon travail.

Son « deal » à elle, son « donnant-donnant », c’est l’amour qu’elle reçoit de ceux qui ont un jour ouvert les bras à la gamine désespérée qu’elle était, contre le service de son savoir faire de gadji.

De cet échange, sont nées trois petites filles qui soudent à jamais la reconnaissance mutuelle et assoient Valérie à sa place dans la communauté.

Elle a tout adopté ; La vie en caravane, la langue, le look, le ménage incessant, les ravages du soleil, le silence sur les écarts de son mari…

Elle ne se plaint de rien, son homme est travailleur, ne boit pas, ne la frappe pas, gâte ses enfants.

Elle aime voyager et elle est la première à se réjouir de l’arrivée du printemps, annonciateur du départ.

Quand l’hiver est là, elle regrette un peu le chauffage central d’un appartement HLM mais après tout, elle n’est pas si frileuse…

Ces filles vont à la maternelle. Elle a su résister aux larmes de la rentrée. Elle sait bien, elle, qu’un minimum d’instruction est indispensable pour pouvoir s’en sortir dans la vie.

Des « Valérie », j’en rencontre assez souvent mais si elles sont arrivées là, poussées par la même quête d’amour, beaucoup déchantent vite de leur condition.

Moins bien mariées, moins instruites donc moins utiles à la communauté, moins dociles, moins cassées par la vie, elle résistent dans leur culture, réclament des appartements, voudraient bien travailler, rêvent souvent de tout plaquer.

Oui, mais… Il y a les enfants…

Ces marmots sacrés, cette glue qui les colle à jamais au père et à sa famille bien peu conciliante quand il s’agit d’émancipation féminine.

Alors elles s’enlisent dans leurs déchirements, entre cette place qu’on ne leur donne pas tout à fait et le rêve d’une liberté qu’elles n’osent plus prendre.
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MA POMME D'OR
La lune des contes tsiganes a dû se pencher sur son berceau.
Elle est ronde et lisse, fraîche à croquer et je la croque dès que je le peux.
On l’appelle Lilie et c’est une" Petite a noï " (c'est ainsi que l'on nomme un enfant), un bébé de 14 mois maintenant.

Je l’aime, je l’adore, je la mange et me régale en ogresse.

Les enfants gitans sont beaux mais elle, elle est plus belle encore que les beaux.
C’est une reine, un ange, un astre.

Je craque…

Ses yeux portent la couleur du monde, le reflète, l’embellit.
C’est du bleu, du noir, du vert, du gris.
De l’or, de l’argent, du platine.
Et quand elle pleure, ce sont des diamants, des perles, de la rosée qui glissent longuement, longuement sur ses joues de satin.

Elle est née dans le verger enchanté d’Angelo et Soledad. Elle est arrivée après deux beaux et une belle.
Elle est le sommet, l’apogée d’un amour qui transpire au travers de chacun des regards de ses parents et au travers du regard de chacun qui voit ses parents s’aimer.

Quand elle est dans mes bras, elle me catapulte dans sa pommeraie.
Elle ne parle pas mais me raconte tant. Tout en saveur…

Je vois les migrations de son peuple à travers les siècles.
Ici, l’Inde, les Balkans, l’Andalousie.
Là, la Catalogne, La Bohème, la Roumanie.
Tout un tas de greffes aussi tortueuses qu’inattendues qui l’ont fait se tendre jusqu’à moi.
Comme un fruit accidentel gageant d’une « espèce » encore nouvelle.
Promesse d’un avenir plus savoureux. Mieux accroché à sa branche.
Défiant la grêle et les orages.

Elle porte tout en élue… De mon cœur.

Le vent qui ondule sur ses cils immenses est un vent sacré.
Il est le souffle des ancêtres, la bise des dieux.
Le soleil qui éclaire son visage est si doux.
Comme si sa seule intention était de la faire mûrir doucement, doucement…
Jamais de douleur, jamais de tristesse, mais là, bien plantée sur ses 14 mois, une pure ébauche du bonheur…

On ne s’est pas choisies, on s’est juste merveilleusement rencontrées.
Un jour où tout me semblait sombre dans cet hiver, où ça me puait la misère jusque dans les os.
Où j’aurais bien pleuré de toute cette merde.

Sa mère me l’a collée dans les bras, elle aurait pu être un paquet de plus à porter dans cette sale journée, une gosse, une mignonne, une juste belle…

Mais dans mes bras, une « Reinette », une « Royale Galla », une pomme royalement reine, avec son soleil, ses Joyaux de la Couronne et ses rivières de diamants.

Je l’ai toute avalée, jusqu’au trognon, avec ses pépins.
J’ai tout voulu de sa lumière, de son éclat… Le temps et la vie étaient si gris ce jour là et je crevais de faim…

Je suis repartie en léchant mes lèvres encore sucrées de mon festin, rassasiée de cet or pour l’éternité de ma journée.
Je suis repartie baignée de beauté, illuminée d’enfance, convaincue plus que séduite.

Pour toi, Lilie. Pour ton sucre, pour ton jus, pour le monde que tes yeux savent rendre si étincelant, je resterai encore un peu parmi les tiens.
Encore un peu à y croire que j’y peux quelque chose.
Encore un peu à te porter et à me laisser porter par toi.
Encore un peu à me faire bouffer pour pouvoir te grignoter.
Jusqu’à ce jour où tu me sembleras simplement belle et où mon cœur, repu ou fatigué, en aura fini d’être gourmand.
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LE ROI DES CROCODILES

C’est le roi de Linda, le monarque absolu. Celui qui martyrise et affame son royaume.

Il a toujours sur ses pulls et ses chemises un crocodile prêt à mordre. Une saloperie de bestiole !
Et le pire, c’est que quand il mue, l’été, il en a encore un tatoué sur le cœur, indélébile…

J’ai eu beau lui chercher toutes les excuses, du genre : Il a dû être malheureux quand il était petit… Il ne peut pas être que mauvais…Avec lui, rien n’accroche.

A part le dégoût.

Alors, je culpabilise parce que : « Professionnellement ça se fait pas. »
Ca ne se fait pas d’aimer et de ne pas aimer.
Et surtout , ça ne se montre et ne se dit pas.
Ben moi, j’y peux rien, lui, je ne l’aime pas

La réalité est que lui et moi sommes en guerre.

Je n’aime pas la façon dont il parle à sa femme (bien fort avec ses poings )et il n’aime pas que je lui parle, surtout… qu’elle me parle.


J’aime ses absences qui me laissent le champs libre pour voir Linda et il ne supporte pas que je la vois à son insu.

Je n’aime pas ses crocodiles intempestifs qui bouffent les repas de ses enfants et il n’aime pas que j’apporte des colis alimentaires pour que les enfants mangent quand même.


Ce qu’il déteste, dans le fond, c’est que je voie.
Ce qu’il déteste, c’est que je sache.

C’est un peu comme si on avait un code Linda et moi. Très peu de mots suffisent.
Un regard même… un soupir…

Jamais je n’ai pu ressentir qu’il était malheureux.
Il est bien au dessus de ça !.
Mais je résiste à ses perversions.

Il refuse de scolariser les enfants et je lui parle de l’école chaque fois que je le rencontre.
Ca le fait rire et je garde mon sérieux.
Ben non. C’est pas drôle qu’un enfant à 08 ans ne soit toujours pas scolarisé, surtout quand il ne demande que ça…
Il a une façon ce Roi de sentir au dessus de tout, au dessus des lois, qui me pousse à les rappeler sans cesse.
Il a une façon de se faire tout puissant qui m’invite à lui rappeler doucement que personne ne l’est.
Bien souvent, il me réduit en poussière et me catapulte sur les murs de mon impuissance.
Ca cogne fort et dur. Ca fait mal…Surtout à Linda.
Moi, ça me mouline, me ratatine. De la purée, l’assistante sociale !

Mais quand j’arrive le matin et que je trouve les enfants, barbotant dans une flaque.
Quand j’arrive et que Linda se planque au fond de sa caravane pour ne pas que je puisse entrevoir les restes de la raclée de la veille, je me dis que si je dois être seule témoin de cela autant l’être bien.
Alors je prends tout mon temps, joues longtemps avec les enfants, ris fort , essaie de déranger le plus possible…Le plus « innocemment » du monde.

Je mesure son agacement.
Je traîne… Je traîne…
Jusqu’à ce qu’il finisse par grimper dans son fourgon et démarre à toute berzingue pour aller faire voir ses crocodiles un peu plus loin.
Jamais très loin mais juste assez pour que tout le monde respire un peu et que Linda ouvre enfin les rideaux de sa caravane et ses lèvres sur son sourire édenté…
Quelques minutes, quelques heures si tout va bien, loin des mâchoires toute puissantes de la sale bestiole…
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RAGE
Ce matin Nathalie a un gros bleu sur la joue. Je lorgne sur son mari…
Mince alors ! pas lui ?
Elle s’approche de moi avec son petit ventre ballon de six mois.
Non, il n’a quand même pas pu ! C’est un chic type son Christian…
Il s’avance aussi et passe son bras autour du cou de Nathalie, le sourire aux lèvres.
Pas très sûre de mon coup mais certaine de ne pas vouloir quitter les lieux sans savoir, je me jette à l’eau.
« T’as un sacré bleu sur la joue Nathalie. Comment tu t’es fait ça ? »
C’est lui qui répond : « C’est moi qui lui est fait ça, elle me rongeait trop ! »
Elle se met à sourire, regarde son homme dans les yeux et ils éclatent d’un rire complice.

Ma parole, ils se paient ma tête !

Ce n’est pas lui…

C’est elle…

Elle avait mal aux dents, alors, comme elle n’avait rien sous la main pour calmer sa douleur…
Comme elle sait que lorsqu’on est enceinte on ne peut pas prendre n’importe quel médicament à cause du bébé…
Comme elle ne sait de toute façon pas lire les posologies sur les boîtes…
Et comme c’était la nuit et que les pharmacies étaient fermées…

Elle a cogné un grand coup sa joue douloureuse contre un mur pour s’arracher à son supplice.

Mince alors !

Aucun mot ne sort de ma bouche, je suis médusée. Vite ! Vite ! Il faut que je trouve quelque chose à dire…
Où sommes nous ? Quel jour sommes nous ? Quelle année ? Quel siècle ?

Mais déjà je les vois emporter leurs rires vers leur caravane.
Des rires qui sonnent la fin du round pour se féliciter de la violence d’une misère d’un autre temps qui me saute à la gorge, m’étrangle de stupeur, m’envoie au tapis…

Plus tard, au bureau, le nez plongé dans mon café, je regarde ma cuillère tourner… Tourner…
Mes pensées fondent comme sucre en tourbillons.

Déliquescence de mes idées ; noires comme ce café…

Si seulement j’arrivais à en rire aussi…
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LE BAISER
Il est venu comme ça, sans que j’ai eu le temps de l’esquiver ou le parer.

« CLAC ! » sur le dessus du crâne…

Je remplis des papiers assise à la table de camping, quelques personnes m’entourent, il fait doux et je prends mon temp
s.

Durant une quinzaine de jours, j’ai pris un peu de distance avec ce groupe familial car je me suis faite insulter au croisement d’un de ses fourgons.
Les temps sont durs. Les caravanes se font chasser des communes sur lesquelles le stationnement était à peu près toléré jusqu’à présent.

La tolérance zéro souffle son air puant sur l’agglomération.

J’ai pris en pleine figure la haine en passant simplement par là.
J’ai pris parce que je dois bien être un peu là pour ça ; recevoir la monnaie des frustrations et des incompréhensions.
Parce que Momo et moi sommes probablement investis du rôle le plus ingrat et difficile à jouer qui puisse exister : La médiation.

Le matin même, Monsieur le maire a marqué un temps d’arrêt avant de serrer la main que je lui tendais et ce midi, je croule sous les noms de singe…

Alors, je suis blessée… L’incomprise, c’est moi.

J’ai envie de tout balancer.

Je ne sers à rien.
On me situe de l’autre côté d’où qu’on regarde :
Je suis la mauvaise médiatrice qui n’est pas capable de faire partir ces « fichus gitans » de la commune et je suis la mauvaise Fanchon qui n’est pas capable de faire comprendre à Monsieur le maire qu’il faudrait peut être qu’il songe à accueillir des voyageurs sur cette même commune.

Ben oui. Je suis mauvaise…


C’est mercredi, je vais chercher mes enfants au centre aéré. Là, au moins je ne suis pas trop mauvaise et je me console par une après midi rollers.

J’appelle tout de même mon directeur pour lui dire mon ras le bol. Il comprend et me dit qu’il faut que je me protège.

C’est ainsi que les gitans et Monsieur le maire n’ont pas vu le bout de mon nez depuis quinze jours.

Ce sont les gitans qui font le premier pas.

Coup de fil.

« Il faudrait que tu viennes, pour faire une lettre aux impôts… »

Béni soit le fisc !

En descendant de ma voiture j’évalue d’un rapide coup d’œil la situation…

Mon agresseur de l’autre jour est là, à fourgonner dans son fourgon…Il ne paie rien pour attendre celui là.

Il a tout juste 20 ans et déjà deux années d'incarcération à son actif... Le bruit des clés, des portes et des cris de la maison d'arrêt me ramènent à ses "C'est pas ma fauuuute j'te dis!" répétés mille fois lors de mes visites au parloir alors que je tentais d'envisager avec lui une préparation à sa sortie et qu'il taxait mes cigarettes pour griller son ennui.

C’est son oncle qui a besoin de mes services.
Je rédige ma lettre et en levant les yeux, je tombe sur ceux de mon voyou qui me fixent, tout près… Alors je fonce : « Dis donc…C’est toi que j’ai croisé l’autre jour… » Il me regarde faussement surpris. « D’ailleurs, j’ai pas trop apprécié ce que j’ai entendu… »

Sourire…

Je replonge dans ma rédaction.

Et CLAC ! Le baiser.

Je lève les yeux sur son sourire.

Je rêve ou quoi ?

Non je ne rêve pas ! Il m’a bien embrassé…

Je me scotche à ma lettre pour masquer mon trouble mais ça trotte dans ma tête.

Il se fiche de moi?

Il me demande pardon?

Entre les lignes du formulaire de déclaration, je cherche sous le flottement de mon stylo une explication... Tout n'est que silence autour et pourtant, comme à l'habitude, je suis encerclée d'une dizaine de personnes.
Ce n'est qu'en me relevant pour partir que je casse ce silence, parenthèse de l'attente de ma réaction.
Mince alors! On joue dans un western ou quoi? C'est le duel final?
Je dégaine d'un rire( un peu nerveux tout même) "Ben quoi? Qu'est-ce qu'il y a?"

La réponse s'avance vers moi incarnée par la mère, noire du deuil de son autre fils...
D'une main, elle me tend un verre de café calumet et de l'autre me propose le sucre de la paix.
J'accepte jusqu'à quatre morceaux et c'est sur le sourire un peu triste de cette femme que je viens enterrer ma hache de guerre et déposer les armes du pardon.
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CHAUFFAGE CENTRAL
Il est 15 heures et je pars en vacances tout à l’heure.
En cette fin décembre, la température extérieure est de –10°C et ça pince sec.

Déjà, je passe mon temps à écrire aux associations caritatives pour que les personnes vivant sur l’aire d’accueil puissent obtenir des bons d’achat pour des bouteilles de gaz.
Les compteurs électriques ont rendu l’âme sous les sollicitations continues des petits radiateurs soufflants et le gaz reste le seul moyen de chauffage pour les caravanes.

Déjà, on me jette un peu quand j’explique que si j’en demande autant, c’est parce qu’avec ce froid, la durée de vie d’une bouteille n’est que de trois jours…

Déjà, je galère…

Et puis le téléphone sonne.
Mes collègues du centre médico-social ont été contactées par le voisin d’une famille que je n’ai jamais rencontrée.
« Tu comprends, on est vendredi, la collègue qui s’occupe de cette famille est en RTT et les autres ont des rendez vous. Si tu pouvais aller voir, il paraît que la dame est toute seule avec ses enfants et qu’elle est en difficulté ».

C’est bien peu dire…

Quand j’arrive sur place, les mots « assistante sociale » résonnent comme « miracle ! » aux oreilles de Juliana et givrent ses yeux de larmes.

C’est comme si l’on se connaissait depuis toujours alors qu’on ne s’est jamais vues.

« Tu vas me sortir de là, sinon on va tous crever ! Regarde mes petits ! » (Il y en a six âgés de deux mois à sept ans) « Ils sont gelés ! »

C’est vrai, mains rouges et glacées, eau de glaçons dans les bouteilles servant à la préparation des biberons, ni robinet, ni électricité, ni gaz dans la caravane, ni voiture, ni mari (en prison depuis 15 jours) pas de famille et des voisins vivant à 500 mètres, juste assez gentils pour passer un coup de fil aux services sociaux.

Il est 16 heures et je fais monter tout ce petit monde grelottant dans le camion en laissant tourner le moteur et ainsi, le chauffage.

Les enfants se jettent sur un paquet de pain au lait que je leur tends et mâchonnent péniblement ce modeste en-cas, tout crispés qu’ils sont par la peur de l’inconnue que je suis et le froid qui les tétanise.

Du portable, j’appelle le 115. Le numéro soit disant magique qui ouvre les portes des centres d’hébergement d’urgence.

Et là : « Six gosses !? Mais que voulez vous qu’on en fasse ! On n’a plus de place ! »

Bien ! Ce n’est sûrement pas la magie qui va nous sortir de là.

J’essaie la Maison Maternelle.

Et là : « On ne peut prendre que trois des enfants »

Je m’énerve un peu… Il est hors de question de séparer la fratrie pour la maman comme pour moi.

Bien ! Ce n’est pas en s’énervant qu’on va se sortir de là.

J’appelle vite fait le père de mes enfants pour qu’il les récupère à la garderie car je sens bien venir une soirée à se cogner aux portes.

SOS Femmes…
« On ne peut pas pousser les murs tout de même ! »

Les sœurs…
« Nous sommes en travaux et n’avons plus de chauffage »…

Les hôtels…
« Sept personnes dans une seule chambre ? Vous vous fichez de moi ?! »

Et autant de fois à raconter, re-raconter, re-re-raconter notre triste histoire.
Aux standardistes, aux secrétaires, aux responsables…

Je fais tout ce que je peux pour rassurer Juliana avec mes « Si-si on va trouver… » Pas très convaincants et j’appelle mon directeur qui de son côté, aidé d’une collègue investit toutes les possibilités d’hébergement du département.

En attendant qu’il me recontacte, je joue un peu avec les enfants maintenant réchauffés, discute avec Juliana qui me taxe clope sur clopes.
Elle tire sur ses mégots tellement fort, tellement vite, comme pour se remplir des tremblements de sa main… Elle avale sa peur, ses nerfs, sa colère, son désespoir…Pendant que la nuit tombe…

J’hallucine en silence de tous ces refus que nous essuyons. A chacun d’eux c’est le froid qui mord un peu plus fort.

18h30, la « bonne » nouvelle arrive par la voix hésitante de mon supérieur. Un cabanon de chantier d’EMAÜS, « Désolé...Il n’y a rien d’autre. »

Cette unique réponse me grince un peu dans l’oreille car je vois assez mal cette maman et ses six mouflets passer une nuit dans ce monde si… Désespéré et majoritairement masculin.

Juliana, de toute façon peu embarrassée par le choix est d’accord et nous passons déposer les enfants au bureau où ma très-gentille- collègue-qui-a-beaucoup-l’habitude-de-s’occuper-des- enfants les gardera pendant que maman et moi irons faire quelques commissions de première nécessité. Couches, lait, yaourts, etc…

Nous partons ensuite aux cabanons, c’est glauque à souhait mais l’accueil de l’équipe est chaleureux.

Un ALGECO qui ferme à clé, un lit, quelques matelas, des couvertures, un convecteur…

Juliana est un peu perdue, les enfants totalement effrayés et ma collègue et moi tentons de garder le sourire.
« Au moins, c’est chauffé ! » répétons nous en cœur, même s’il n’y a pas la télé.

Juliana, dans ce qu’il doit lui rester d’orgueil nous fait comprendre que cela reste un moindre mal car, nous dit elle, « même en prison y’a la télé ! »

Ses yeux n’ont alors de raison que de me supplier de ne pas partir.
Elle le dit même : « Tu pars pas maintenant hein? »
Non, pas tout de suite nous restons pour l’accompagner dans la salle commune car c ‘est l’heure de la soupe.
Les enfants dévorent, Juliana n’a faim que de cigarettes et je la nourris grassement.
Dans le réfectoire, nos compagnons nous renvoient aux frontières d’un monde jusqu’alors inexploré par Juliana, une autre misère qui gueule, qui tousse, qui crache et qui n’en revient pas de voir les lieus prendre des airs de pouponnière.
On ne nous pose cependant d’autre question que celle de l’âge des enfants et Juliana vient chercher dans mon regard un soutient avant chacune de ses réponses… Petite chatte sauvage chez les grands fauves…

Le repas terminé, j’annonce que nous devons partir… Il est 20H30, Juliana comprend, l’équipe d’accueil prend le relais.

En claquant la porte du camion, je jette un œil vers le bâtiment et j’entrevois une dernière fois le visage de Juliana derrière la buée de la fenêtre de la salle commune.
Ses yeux nous cherchent désespérément dans les ombres de la rue et j’essaie de contourner son désespoir en lançant une fois encore à ma collègue : « Au moins, c’est chauffé ! »

Le trajet du retour au bureau se fait sans un mot, je retiens tant bien que mal mon inquiétude et me laisse bercer par le ronron du moteur dans un semblant de bonne conscience.

Je sursaute à la sonnerie de mon portable :
« Allô maman ? Bon t’arrives quand ? T’avais dit que ce soir on était en vacances ! »
« Oui, j’arrive ma puce… Heu… T’as pas eu trop froid aujourd'hui? "
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LE PREMIER JOUR
Ce n’est pas mon premier à moi.
C’est celui de Momo, mon collègue.
Je l’attends depuis six mois ce jour où je ne vais plus être toute seule.
Un homme, c’est bien pour former ce que l’on appelle un "couple éducatif".
Il a pour mission de mettre en place des activités avec les enfants afin de réaliser « l’accroche »et de travailler sur leur scolarisation.
Une fois ferrés, nos petits poissons sont sensés faire baisser les courbes d’absentéisme scolaire…

Le premier jour, nous partons donc à la pêche.
J’ai déjà un peu appâté dans le secteur et posé quelques lignes.

Candie, une jeune fille de 14 ans m’a demandée de passer sur son terrain.
Ses cousins et elle voudraient bien faire du karaté.
« Tu comprends, chez nous, on aime bien la bagarre, alors le karaté, ça peut servir. »

Nous voici donc chez Candie, c’est la première fois que je viens car c’est sur un lieu de stationnement sauvage que j’avais rencontré la petite, quelques semaines auparavant.

Sa famille rentrait tout doucement chez elle, en ce début d’automne et entretenait un arrière goût d’été et de voyage en squattant généreusement la zone artisanale de sa propre ville.
( un comportement bien difficile à faire avaler aux élus).


Bref ! Nous voici au portail du terrain indiqué par Candie.

Une petite maison avec autour une dizaine de caravanes.
Déjà, en passant le portail, je remarque qu’un désert se crée.
Ca fuit de partout.
Ca monte dans les caravanes, entre dans la maison, claque les portes.

De vraies anguilles.

Serions nous malvenus ?

Nous descendons de voiture en lançant des « bonjour ! » à peine confiants.

Je vois bien les pensées de Momo.
Du genre : « Mais qu’est ce que je viens foutre ici, moi ? C’est quoi ce boulot de « ouf » ? »

Je vois surtout sa tête lorsqu’un spécimen de « requin couteau » à moustache sort de derrière une haie en nous criant :

« Vous êtes qui ?! » « Qu’est ce que vous venez faire ici ?! »
Je nous présente vite-vite-vite en ayant l’air de trouver très normal que notre ami nous accueille avec son grand couteau.

« Assistante sociale…. Papiers…. Candie… Mon gentil collègue… Karaté…Bon-ben-On-va pas-vous-déranger-plus-longtemps. »

Hop ! On remballe nos gaules et on saute dans la voiture.
Aïe… On est bien loin d’une pêche miraculeuse…


Dans la voiture, silence…Silence… Puis, éclats de rires…

Ben voilà, c’est parti Momo !

Désormais, nous serons deux à la pêche, à écoper le même bateau.

La différence entre nous, c’est sans doute sa sagesse qui le fait se mouiller jusqu’à la taille quand moi, je m’enfonce jusqu’au cou.

Bien souvent, il m’a sorti des vases où je me laissais empêtrer par mon manque de limites et il m’a hissée sur les
berges de la raison.
« Oh ! Fanchon ! C’est qu’un boulot ! Dis toi bien une chose, c’est que ce que tu fais pour eux, ils ne le feraient pas pour toi ! Allez… Viens je te paie une bière»

Momo, c’est autant de bulles sur l’amertume offrant au pesant un air plus léger… D’ailleurs, lorsque je suis partie, lui, il a su rester.

Il passe me voir de temps en temps, je mets pour lui une bière au frais et nous parlons de nos parties de pêche, il me donne des nouvelles, Candie n’est jamais devenue championne de karaté mais ses deux enfants vont à la maternelle et les couteaux sont relégués.
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LA PREMIERE SEANCE
« Et pourquoi tu nous emmènes pas nous , au cinéma ? » Me lance un jour Maya à travers le feu.
C’est vrai. Je pensais que ce type de sorties n’intéressaient que les enfants et je n’avais jamais songé le proposer aux adultes et encore moins aux femmes.

Le temps d’une soirée, six d’entre elles voudraient bien s’accorder une petite récréation, « sans les maris, sans les enfants »

Je sonde les regards des hommes, aucune réaction, elles ont dû préparer le terrain avant mon arrivée.

Je suis partante, cela me reposera du marathon habituellement couru avec les enfants qui passent le temps du film à aller aux toilettes, changer de place, demander si : « Dehors, c’est le jour ou la nuit ? ».

Nous nous donnons rendez vous pour le soir, elles seront prêtes à 19 heures.

Je suis plutôt contente de cette demande, une sortie entre femmes, cela ne doit pas leur arriver bien souvent.

Lorsque je viens les chercher, je prends conscience de toute l’importance que peut avoir l’évènement, elles ont toutes passé des robes de soirée pailletées d’or, d’argent, de strass…
Je me sens un peu décalée avec mon jean et mes Kickers…

Alors qu’elle retire la boue de ses chaussures, Maya m’explique que les tenues sont des restes des fêtes de fin d’année. Nous sommes début janvier, « on peut bien les remettre une fois, après, il faudra les jeter…Quand on voyage on peut rien garder, on n’a pas beaucoup de place dans les caravanes »

Je les trouve bien jolies et leurs maris sans doute un peu trop, car nous devons promettre de rentrer tôt…

Les enfants hurlent, les papas soufflent, nous partons vite avant que les uns aidés des autres ne fassent tourner le vent.
Dans le camion, c’est l’excitation, un petit a réussi à s’accrocher assez fort aux paillettes de sa mère pour mériter sa place au gynécée.
Il est sans aucun doute notre caution…

Devant le cinéma, le choix du film se fait à l’affiche.
C’est le dernier Lelouch qui l’emporte. Décidément, je suis bien contente, « Une pour toutes ! » me semble tout à fait adapté à la circonstance : Une histoire de femmes pour des femmes…


Je me laisse porter.

Dès le générique, Nadia s’endort sur mon épaule… Je pense à sa journée.
Cinq enfants, le linge lavé à l’eau froide et à la main en plein hiver, l’alcool pour réchauffer du froid et de l’absence de son mari.
Je ne songe pas un seul instant la tirer de son abandon à cette pénombre douillette et bien chauffée.

Les autres femmes me régalent de leurs rires, elles ne sont que bulles de chewing-gum qui claquent bruyamment et qui énervent les gens de derrière, bavardages complices (à voix hautes et en catalan bien entendu...) Elle en rajoutent histoire de bien se faire remarquer mais je décide de me laisser porter en silence par cet instant précieux que je vois pétiller des yeux jusqu'au pouce généreusement absorbé par notre glue tétouilleuse qui ne trouve probablement d'intérêt à cette sortie que son privilège.

Je suis assez fière d'avoir au moins compris une chose depuis que je travaille ici: La culture Gitane offre tout à l'instant.
C'est comme si le monde ne portait ce soir qu'une soirée au cinéma, un bouquet de paillettes arraché à la boue, des pétales de joie s'ouvrant à la lumière d'une simplicité.

"Une pour toutes!"... Le temps d'un instant supplantant tous les autres, plus d'avant gadouilleux de soucis et pas d'après crotté de problèmes...

Tout, ici et maintenant.

Je les trouve décidément vraiment jolies ces femmes en fêtes adossées à cette parenthèse et c'est appuyée sur cette courbe de nos flexibles, que je me surprends à presque oublier qu'à la fin de la séance, la lumière, sur nos vies viendra pourtant se rallumer
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LE FOU

C’est en prison qu’il est devenu fou…

Quatre mois de cage auront suffit à cet oiseau pour qu’il ne sache plus voler.
C’est un peu comme si on lui avait coupé les ailes avant de le pousser hors du nid.
La chute fut terrible… De bien haut, il est tombé… Sur la tête !

Avant qu’on ne l’enferme, je me souviens d’un homme grand et fort.
Il avait le regard rieur et la blague facile. Il travaillait peu, bidouillait beaucoup, assumait tout.

Il a perdu au jeu du gendarme et du voleur et le voleur… C’était lui. Un petit voleur, un cambricoleur, oui mais voilà, il s’est fait prendre…

Alors on lui a laissé voir son soleil par un tout petit bout de fenêtre, on lui a laissé respirer son air une heure par jour, on lui a mis un toit sur la tête pour le priver de sa pluie.

A lui qui n’avait jamais habité une maison, à lui qui me demandait d’ouvrir la fenêtre de mon bureau en plein hiver parce que « Mamma ! J’étouffe ! », à lui qui n’avait jamais connu que les frontières entre les pays, on a demandé de payer sa dette dans un cube de béton à barreaux.

Alors, il est devenu fou…

Aujourd’hui, son regard ne rit plus et me fait peur…

J’avais déjà vu des regards éteints par la prison, des regards haineux, des regards perdus mais jamais je n’avais vu, avant le sien, de regard fou.

C’est un peu comme s’il voulait toujours voir au delà des gens, au delà des murs, comme s’il cherchait sans cesse à s’évader, pris de panique.

Il me parle en se déplaçant autour de moi, s’approche un peu, recule tout à coup, comme s’il craignait que je l’attrape, comme s’il voulait se sentir toujours m’échapper.

Un instant, immense au dessus de moi et l’instant d’après, tout petit dans sa fuite.

J’essaie alors de capter ses yeux.
Je tourne sur moi même pour ne pas lâcher sa ronde folle et je m’étourdis à vouloir le saisir.
Il me saoule du manège de ses mots, de la grande roue de ses délires, de la foire de sa parano.

STOP ! La « fête folie » est finie.

Je remballe mes yeux et mes tentatives d’accroche.
Il échappe à tout.

Je comprends alors les dégâts causés par les murs sur cet homme.
Je comprends qu’il ne voit en moi que les clés, les verrous, les barreaux, la main qui l’a attrapé, enfermé et poussé dans cette chute qui l’a un peu… Tué.
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L'ART DU TRICOT

« Oui... Je veux bien être la marraine de ton fils. »

Voilà ce que j’ai répondu sans hésitation à Miguel quand il m'a fait la demande.
Cela m’a valu bien des regards de travers de la part de ma direction et des explications devant toute l’équipe de l’association assez partagée sur la question.

Peut on mélanger notre vie professionnelle et personnelle ?
« Ah ça ! NON ! »

Non évidemment… Mais je l’ai fait…


On m’a dit que j’allais m’en mordre les doigts.
On m’a parlé d’éthique et de tout un tas de grandes choses, comme on le fait si bien en travail social.
On m’a même dit que je mettais en péril l’équipe et probablement d’autres familles, qui pourraient être jalouses…

Evidemment… Mais j’ai dit oui quand même…

Alors, je suis à la fête. Une super fête invitant au moins 350 personnes.

Dix enfants sont baptisés aujourd’hui.
Je garde mon filleul bien vissé sur mes genoux à l’église pendant que les cousins courent partout.

Le curé tente de se faire entendre pendant que ça farfouille dans les paniers de dragées…
Personne n’écoute ce qu’il raconte mais aucun ne rate pourtant de rattraper au vol son signe de croix.
Je me demande un instant ce que le Seigneur peut bien avoir à faire dans tout ça car nul, à part le curé et moi, ne connaît ses prières et encore, je dois bien avouer que j’ai un peu de mal à aller jusqu’au bout des entrailles de Marie…

Mais Jean-Marie l’aumônier des Gitans catéchise comme il peut sa belle assemblée.
Je le connais bien, il m’appelle parfois quand il voit des familles en difficulté et on se croise souvent au détour d’un feu.
C’est un copain de l’abbé Pierre, il lui ressemble d’ailleurs beaucoup à la différence près qu’on le surnomme « le Cow-boy » à cause du Stetson enfoncé jusqu’aux oreilles qu’il promène depuis des années de familles en caravanes.

Je fais ma studieuse, il se donne tant de mal dans tout ce capharnaüm mais je ne peux que pouffer de rire quand à la question « Savez-vous à quoi sert l’huile Sainte? » Il se voit répondre : « Bé tiens mamma ! A faire marcher le moteur des camions ! »

Finalement, c’est bien comme chez nous les baptêmes… En moins hypocrite.

Car le Seigneur est partout

On croit autrement mieux que nous, chez les gitans. Plus simplement, plus évidemment.
La religion défie là encore toute institution… Les messes du dimanche c’est pour le gadjé et on ne met les pieds à l’église que pour les baptêmes et les enterrements…
On jure pourtant par toutes les Saintes, Sara, Marie... Des stars du quotidien qui viennent se poser sur tous les pouces après qu’ils aient été baisés et fleurir sur toutes les lèvres au cours de la journée.
Aussi, on préfère de loin la ferveur des pèlerinages estivaux aux murs glacés des édifices et la folle danse les guitares festives aux cantiques d’une chorale dépressive …

La messe terminée en liesse, une salle s’ouvre sur les festivités

On danse.
Tout le monde danse. Même Christiane. Je n’aurais jamais pensé ça…
Elle est toujours si… Fatiguée.
Dix enfants… Un mari malade…
Elle tricote avec ses bras au dessus de sa tête, des mailles sans envers ni endroit… La danse gitane est une pagaille de sensualité…
J’adopte ce fouillis, tirée sur la piste par un petit groupe de femmes.

On mange aussi.
Des milliers de petits gâteaux sucrés et crémeux qui finissent par faire du sol une patinoire géante.
On boit… Pas moi. Quand même un peu d’éthique…
Et on m’observe…
Avec qui je danse… Avec qui je parle… Avec qui je ris…

C’est là que je risque gros, alors je suis exemplaire.
Je danse avec les aînés, remercie gentiment les jeunes et rigole avec les enfants.

Ca va… C’est bien ce qu’on attend de moi.

Je promets à mon filleul de lui acheter des livres, que pour la « Game- boy » il n’a qu’à voir avec son parrain.
Je lui promets aussi de l’amener à l’école par la peau des fesses si je le vois rechigner.

Bizarrement, il a l’air content alors, mon éthique s’envole et je colle mes lèvres aux joues du futur bachelier.

Clic ! Photos et vidéos…
Ca va…De beaux souvenirs, on attend de nous.

Je pense aux sourcils de mon directeur lorsque je lui collerai les photos sous le nez… Froncés les sourcils, comme les volants de la jupe de Gina qui n’en finit plus de tourner.
Je mêle à ces tours mon tour d’honneur car c’est bien aujourd’hui un honneur qui m’est fait.

Je n'ai encore rien dit à personne mais je sais que je vais partir dans quelques mois, j’ai décidé de refuser d’intégrer le centre social que nous avons créé… Bientôt cinq ans que je ne lace même plus mes chaussures pour pouvoir les enlever avec aisance lorsque je grimpe dans une caravane, j’ai pour projet de quitter le social mais quand même, c’est un peu dur de tout quitter…

Alors, au son de la guitare de Richard, je tricote joyeusement au dessus de ma tête l’élan de mon coeur en pagaille et mon désir de liens à tisser.

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